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‘Quoi écouter….’ Category

  1. Quoi écouter quand… la vie est parfaitement déprimante ?

    juillet 8, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique : Benjamin Peurey

    Il y a des jours (ou des mois) comme ça. La perspective d’affronter le monde – ou son poisson rouge de compagnie – est insurmontable. Dehors, il fait beau et c’est comme si la météo se payait ta tronche, Petit Scarabée car dans ton cœur, il pleut assez pour transformer le Sahara en rizière. Ton existence est rythmée par tes soupirs et s’il te restait de l’énergie, tu hausserais les épaules pour ponctuer ces “A quoi bon ?” devenus ta devise. Car oui, la vie est nulle et tu es le seul à t’en être rendu compte…

    Tu as tenté d’avertir tes proches, lors de tirades désabusées mêlant réchauffement climatique, audimat d’Hanouna, fuite en avant de l’humanité, terre-platisme, engouement durable pour le combo claquettes-chaussettes, chômage en hausse et impossibilité de trouver des Figolu recette authentique dans ton quartier. Tu as vite compris que personne n’écoutait et si Cloclo, le chanteur électricien ne te hérissait pas le poil, tu aurais repris à ton compte les paroles du “Mail Aimé”, abandonné de tous que tu es. Oui, même les cafards installés dans ton appartement miteux ont décampé, se plaignant de l’ambiance sinistre qui y règne.

    Si tu étais un Bisounours, tu serais Grosse Déprime. Chez les Powers Rangers, on t’appellerait Force Xanax. Et dans Star Wars, tu serais du Côté Hyper Sombre de la Force. Ça ne va tellement pas fort du tout que tu ne te demandes même plus : Quoi écouter quand… la vie est parfaitement déprimante ?

    Je ne vais pas y aller avec le dos de la main morte, Petit Scarabée. Vu ton état, il y a longtemps que tu as dépassé le stade où tu peux faire la chenille sur “You Want It Darker” de Leonard Cohen. Il te faut un électrochoc. Un album qui te prouve que, même si la vie est une tartine d’épingles rouillées, il y en a qui extraient un peu de beauté et d’émotions à vif de toute cette horreur.

    Comme ce cher Trent Reznor, leader de Nine Inch Nails, sympathique groupe indus de Cleveland. Son légendaire The Downward Spiral est le genre d’album qui fait un bien douloureux par là où il passe. Un peu de background peut-être ? Le disque a été enregistré à Cielo Drive (Los Angeles), dans la villa où la Famille du gourou rissolé du ciboulot, Charles Manson, a massacré l’actrice Sharon Tate et quelques amis en 1969. Lieu idéal pour ressentir de mauvaises vibrations, ainsi que pour plancher sur un concept album parlant de la dégradation mentale d’un homme. Le fait qu’il ait été écrit alors que Reznor s’embourbait dans l’alcool, les substances et la dépression lui donne ce petit rien d’authenticité qui te réconfortera Petit Scarabée, car, oui, tu n’es pas seul. Pour un peu, Reznor aussi était affecté par la pénurie de Figolu.

    L’album s’ouvre sur le brutal et lancinant “Mr. Self Destruct” pour te plonger dans une ambiance depression-friendly et nul besoin d’un effort surhumain pour murmurer en chœur avec Trentinou, « je suis la sortie”. Quoi ? C’est trop violent pour toi, Petit Scarabée ? Passe à l’excellent “Closer”, tout aussi entêtant, mais plus accessible… N’écoute pas les paroles de trop près (disons que la phrase “je veux te baiser comme un animal” est l’une des moins dérangeante ici), mais va t’en chercher la superbe vidéo de Mark Romanek, enfilade d’images dérangeantes, mais parfois réconfortantes, comme lorsque le petit cafard filmé en gros plan se remet sur le dos (non, tu ne m’as pas entendu l’encourager) et s’en va en gambadant… Et je ne te parle pas du top au crochet de Reznor, sorti d’un remake indus du Père Noël est une ordure. Pour t’achever en beauté, rien de mieux que “Hurt”. Avoue-le : quand c’est Trent Reznor qui se plaint, ça a autrement plus de gueule que toi. Tu vois, Petit Scarabée, tu n’es pas le seul à trouver la vie parfaitement déprimante. Et dans certains cas, ça peut donner de très beaux résultats…


  2. Quoi écouter quand… tu reçois ton avis d’imposition ?

    juin 24, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique : Benjamin Peurey

    Cela fait déjà sept semaines qu’on se connaît, Petit Scarabée… Et permets-moi de te dire que plus d’une fois, j’ai envisagé un désenvoûtement. Car à ce niveau de pas-de-bol, j’ai l’impression que tu as été conçu sur un cimetière indien.

    Et ce matin, alors que, tout joyeux, tu te disais que pour une fois, pandémie oblige, tu avais échappé au pire de la (dé)Fête de la Musique sans croiser la route d’un seul groupe reprenant Téléphone et Dire Straits au djembé, une nouvelle tuile vient de tomber sur les larmes de ton plancher et le coin de ton museau.

    Dans ta boîte à lettres, entre une carte postale kitsch envoyée par un pote bloqué en 2016, la promo du supermarché sur les merguez en cette saison du barbecue et le flyer pour le grand marabout N’Ficell qui fait revenir l’être aimé, disparaître la cellulite incrustée et répare les disques durs à distance, tu le repères. Fourbe. Tapis dans un recoin, mais aussi identifiable qu’un gothique à la plage : ton avis d’imposition.

    Front transpirant, genoux mous, tu tentes d’ouvrir l’enveloppe d’une main tremblante, tandis que dans ta tête, les questions se bousculent : Vais-je devoir vendre un rein pour payer mes impôts ? Tiens, ça coûte combien, un rein, sur le marché de l’occasion ? Ils publient encore des petites annonces, dans Viscères Mag ? Mais surtout, quoi écouter quand… tu reçois ton avis d’imposition ?

    Petit Scarabée, tu vas devoir ne te nourrir que de pâtes pendant quelques semaines (tu sais, celles que tu as amassées pré-confinement…). Au lieu de te suggérer l’écoute d’un incunable, introuvable à un prix de moins de trois chiffres, je te propose de choper non pas l’original, mais la réédition de 2004 (tu comprendras pourquoi) de Face To Face des Kinks. En admettant que tu n’aies pas cette merveille sur tes étagères – et là, je te juge un peu, hésitant à appeler ton centre des impôts pour un petit contrôle – sache qu’on le trouve en occasion partout, à tarif plus que raisonnable, donc tu n’as AUCUNE excuse.

    Sous cette pochette aux airs d’album à colorier psychédélique pour enfant daltonien se cache une merveille. Et, vu ta situation, Petit Scarabée, tu as besoin de poser ta tête sur une épaule compatissante comme celle de Ray Davies, meilleur conteur d’une Angleterre prolétaire et fauchée. Un cracheur de vitriol professionnel et subtil, qui a composé de parfaites vignettes vengeresses sur tous ces personnages qu’il détestait ou méprisait.

    Comme l’héritier tête à claques de “House In The Country” qui a décroché un job “quand son papa bourré est tombé dans l’escalier” et doit raquer un sacré montant en impôts fonciers entre nous. Bien fait pour lui.

    Et on parle du joyeux fêtard qui se ruine en fêtes, filles et bijoux de “Most Exclusive Residence For Sale” ? Alors qu’on sur le point de se dire que cet album aurait dû s’intituler De Connards et d’immobilier, voilà qu’arrive le plus beau portrait de tous, celui du protagoniste de “Sunny Afternoon”, bijou de pop interprété avec une nonchalance qui fleure bon la fin d’après-midi et le rosé-piscine. Cet aristo décadent, n’ayant plus pour compagnie qu’une bière fraîche, serait presque sympathique dans son apathie s’il ne précisait pas que si sa chérie est rentrée chez ses parents, c’est à cause de sa prétendue cruauté mentale…

    Oui, tu l’auras compris, Petit Scarabée, Ray Davies n’a pas des masses de sympathie pour les nantis. Et il a composé cet album pour tous les fauchés, les à découvert le 2 du mois, les qui flippent leur maman devant leur avis d’imposition. Toi, quoi.

    Ahhh, et là, je t’entends me dire, et pourquoi fallait que j’écoute la réédition ? Parce qu’y est inclus en bonus “Dead End Street”, où dans une ambiance de music-hall plutôt joyeuse, Davies et sa bande de Tordus chantent la pauvreté, le fait de vivre et de mourir dans une impasse métaphorique et bien réelle, sans aucune chance de s’en sortir un jour. Entre nous, tu n’en es pas là. D’ailleurs, tu vois, le vilain monsieur des impôts n’a pas encore saisi ta platine et tu peux écouter les Kinks. Merci qui ?


  3. Quoi écouter quand… le trajet paraît particulièrement long ?

    juin 17, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique : Benjamin Peurey

    Tu n’es pas bien, là, Petit Scarabée, calé sous l’aisselle suante d’un géant, pied écrasé par la charrette d’une mère qui nourrit sa famille nombreuse avec cinq kilos de fruits et de légumes par jour chacun, main sous le dos du flippé des microbes qui préfère s’adosser sur des phalanges inconnues plutôt que de tenir la barre du métro ? As-tu pour autant envie d’avoir dans les écouteurs la chanson d’un petit malin te vantant la route 66, le ciel limpide et les grands espaces ? NON. Cela pourrait réveiller en toi des instincts d’émule d’Hannibal Lecter et Charles Manson, en moins bonhomme. Pour éviter ça, je vais répondre à la question qui te hante : Quoi écouter quand… le trajet paraît particulièrement long ?

    Permets-moi, Petit Scarabée usager des transports, de te faire découvrir un groupe du nord de l’Angleterre assez doué pour la mélodie qui gagne à être connu. Ils se nomment les Beatles. Ils sont quatre, ils sont dans le vent à ce qu’on raconte et ont des coupes de cheveux assez cocasses qui t’arracheront un sourire, même en constatant qu’il te reste 38 stations dans cet antichambre de l’Enfer sponsorisé par le Pass Navigo.

    Commençons par un peu de visuel apaisant. Regarde la pochette d’Abbey Road. Elle va devenir ta happy place, lieu où tu réfugier quand tu ne vois pas la lumière au bout du tunnel de métro.  Imagine ta joie si, chaque matin, tu n’avais qu’à traverser un passage clouté pour te rendre au boulot (ou en trouver), entouré de tes trois collègues favoris, y compris ce déconneur de Paulo qui n’a pas mis de godasses pour faire croire qu’il est mort sur la photo ? Oui, ton esprit frétille et ça ne va pas s’arrêter à l’écoute de “Ticket To Ride”.

    J’en entends un dire au fond, ouais, c’est pas parce que la chanson parle de ticket qu’elle a un lien avec British Rail… C’est pas faux. Et je m’en cogne, car l’important ici, c’est cette explosion de guitare 12-cordes Byrdsienne et ces harmonies vocales allègres. Si le tempo ne te donne pas envie de jouer du air-tambourin à la grande joie des passagers de ton wagon, je veux bien écouter en entier une chanson de Maître Pims.

    Mais je sens bien, Petit Scarabée, qu’il te faut de l’évasion. De la bagnole bouffant du bitume… Essaie “Drive My Car”. D’abord tu auras le plaisir d’entendre un Beatle se prendre un vent avec une aspirante actrice qui lui propose d’être son chauffeur. Ça n’arrive pas qu’à toi. Tu veux un peu de place dans ton wagon ? Reprends en chœur avec tes nouveaux potes de Liverpool ce merveilleux refrain à base de  bip-bip bip-bip yeah.

    Il te reste encore 15 stations qui te semblent plus pénibles que celles du chemin de croix, d’autant que Jésus n’était pas entouré d’allergiques au déodorant. Et quoi de plus rafraichissant que “Why Don’t We Do It In The Road ?” Sur fond de mélodie brute et abrasive sur les bords, Paul McCartney se demande en boucle, pourquoi on ne le fait pas sur la route. Dommage, il ne précise pas s’il s’agit de faire des sandwiches (pas pratique) ou les ongles (pas facile non plus).

    Comme il te reste encore un changement, tu as le droit à un bonus, Petit Scarabée. Fais gaffe, en l’écoutant, tu va arracher ton t-shirt ou ton sous-pull acrylique, soudain possédé par l’esprit d’Iggy Pop et le rythme bondissant de son “Passenger”. Certes, il l’a écrite alors qu’il était en tournée avec David Bowie et voyageait dans des conditions meilleures que les tiennes, mais n’es-tu pas un peu reboosté par l’enthousiasme de cet iguane au timbre de velours ? Lui s’en fiche pas mal que le trajet semble interminable. Il chante la-la-la-la-la-la-la-la en regardant par la fenêtre. Et alors que tu baignes dans son énergie communicative, ne loupe pas ton arrêt. Merci qui ?


  4. quoi écouter quand… la technologie rend l’âme ?

    juin 10, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique : Benjamin Peurey

    Il y a des moments dans la vie d’un humain où rage, effroi, impuissance et pensée magique entrent en collision face à une détresse insurmontable. Réflexe ancestral inscrit dans notre code génétique depuis l’époque où nous survivions, vêtus de peaux de bêtes, occupés à dessiner sur les parois des cavernes des blagues sur les T-rex ne pouvant pas se torcher le cul et à alimenter le feu, si précieux lors des barbecues avec la famille Cro-Magnon voisine.

    Il arrivait cependant que cette saloperie de feu de sa race s’éteigne sans raison, au moment où les Magnon d’à côté débarquaient, pack de Cro-Nenbourg sous le bras. Nom d’une couille de mammouth laineux, braillait alors notre ancêtre, conscient que sans feu, impossible de faire des signaux de fumée pour communiquer avec ces incompétents du service clients qui le laisserait deux plombes en attente.

    L’homme des cavernes se prenait alors la tête à deux mains, frappait les cendres à coup de gourdin, grognait quand son voisin demandait s’il avait tenté d’éteindre et de rallumer le feu, puis s’effondrait, prostré, maudissant cette technologie moderne qui lui compliquait la vie…

    Je pourrais m’étendre sur le sujet, n’ayant jamais raté un épisode de la Famille Pierrafeu, mais revenons à l’ère moderne. A ce moment d’horreur où l’iPhone se jette tête la première dans les WC. Où la box ne répond plus. Où l’écran d’ordinateur affiche des messages anxiogènes du style, “Disque dur introuvable. Si, si. Vraiment. J’ai cherché partout”. Et tandis que tu poireautes avec en fond sonore, le message d’attente du service clients, tu as tout le loisir, Petit Scarabée, de te poser des questions philosophiques, telles que, quoi écouter quand… la technologie rend l’âme ?

    Dans ce cas désespéré, il faut du baume pour ton âme à vif. Et quoi de mieux que la fausse lo-fi des barbus de Modesto, plus connus sous le nom de Grandaddy, et de leur album de 2000, The Sophtware Slump ? Les anglophiles auront compris que ce titre qui ne s’écrit pas comme il se postillonne est un jeu de mot entre sophomore et software. (Le sophomore slump, c’est l’expression pour parler du toujours délicat deuxième album où la baisse de forme se fait sentir).

    Dès sa pochette au titre écrit en touches d’ordinateur, on flaire le concept album. Non, Petit Scarabée, ne fuis pas ! Il ne s’agit pas d’une de ces créations fumeuses des seventies, promis. Si la modernité et la technologie ont souvent été synonymes de froideur et d’inhumanité, ici, c’est tout l’inverse. La sensibilité se porte à fleur de peau, les mélodies filent le frisson, la voix de Jason Lytle est fragile et terriblement humaine sur ces symphonies de poche, pop et mélancoliques.

    Et là, Petit Scarabée, je te sens me taper sur l’épaule et pour une fois, je tolère cette familiarité, d’autant que ça fait une heure que tu attends qu’un technicien te réponde. Tu veux savoir quels morceaux vont le plus te parler sur cet album ? “The Crystal Lake”, avec ses boucles de bidouillis de synthés vieillots est un bijou invitant à se barrer loin de tout ça… et se conclut sur un poignant “je me suis à nouveau perdu…” Voilà ce qui arrive lorsqu’on n’a plus de GPS pour s’orienter, me diras-tu…

    Alors au lieu de faire de l’humour à ma place, Petit Scarabée, écoute “Jed The Humanoid”, histoire de robot qui, devenu obsolète, plonge dans la picole et s’y rouille les circuits. Oui, il fait un peu penser à Bender, le robot alcoolo de Futurama, mais en beaucoup plus triste. A côté de ce conte morbide sur l’obsolescence programmée, ta situation n’est pas si pire, non ? D’ici deux petites heures de rien, un technicien prendra ton appel et tu rejoindras le monde des connectés à l’inverse de ce pauvre Jed l’Humanoïde… Ça va déjà mieux, non ? Merci qui ?


  5. Quoi écouter quand… t’as une telle gueule de bois que tu ne reconnais pas le type dans ton miroir ?

    juin 3, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique de Benjamin Peurey

    Le principe de cette rubrique est simple : Benjamin m’envoie un dessin et je dois illustrer à mon tour la situation par un album ou un morceau… Jusqu’ici, tout allait bien.  

    À QUOI TU PENSAIS CE JOUR-LÀ, BEN ? Tu sais bien que des albums sur le fait de boire et déboires, il en existe assez pour faire crouler sous le vinyle des mètres linéaires d’étagères Ikaa. Mais tu me connais… Tel le pit-bull accroché au fessier d’un facteur imprudent, je ne lâche jamais l’affaire.

    Alors petit scarabée, tu es sorti jusqu’à pas d’heure, rentré en zigzaguant et après un quart d’heure à mettre cette saleté de clé dans cette putain de serrure qui fait rien qu’à bouger, tu es allé se coucher tout habillé.

    Ce matin, alors qu’en posant le pied par terre, tu as constaté que les Tambours du Bronx et ceux du Burundi tapaient le bœuf sous ton crâne, tu t’es traîné jusqu’à la salle de bain. Où tu as découvert face à toi le bâtard de Dracula et de Shane McGowan des Pogues en moins frais, teint verdâtre, épiderme suintant, cheveux sentant le cendrier mort. Avant d’adopter le look Daft Punk (le port du casque est déconseillé lorsqu’on en porte déjà un, pointe à l’envers), bois un café ou mâche une capsule, si c’est trop compliqué, et pose-toi les vraies questions. Non, pas “Pourquoi je me suis foutu dans un tel état ?”, mais quoi écouter quand… t’as une telle gueule de bois que tu ne reconnais pas le type dans ton miroir ?

    On commence par l’incarnation de l’alcoolisme mondain, Frank Sinatra himself. “One For My Baby/One More For The Road”, c’est quoi, sinon un superbe pousse au crime, un hymne à la noyade du chagrin dans l’alcool fort ? Sur le même thème, on suggère l’écoute de “Drinking Again” – la thérapie de couple n’existait pas à l’époque ou bien ? Quant à Sinatra avec le Rat Pack, c’est open bar. Cette brochette d’élégants pochtrons ont chanté le fait de boire, tout en buvant sur scène quand ils n’y montaient pas sévèrement imbibés. Sans picole, les aurait-on appelés Les Gars Propres Sur Eux Qui N’ont Pas L’Air de Faire des Miettes (ce qui en jette moins) ? N’empêche que le jour d’après, ils ressemblaient forcément plus à Licence IV (interprètes du douloureux “Viens boire un p’tit coup à la maison”) qu’à une publicité vivante pour le port du tuxedo en toutes circonstances.

    Parler d’alcool et ne pas mentionner Lee Hazlewood serait une faute professionnelle équivalente à oublier Jul d’une étude sur les victimes d’amusie (anomalie cérébrale empêchant de percevoir la musique ou de donner un sens à la mélodie, au rythme, etc.). Ainsi, le fringuant moustachu a raconté l’histoire d’une beauté mystérieuse lui servant du “Summer Wine” pour mieux le dépouiller alors qu’il cuve. Si dans la vraie vie, on a assez peu d’indulgence pour ce comportement, on reconnaît qu’ici, le résultat est plus troublant que ce qu’on a vécu le soir où un salopard nous a fait le coup (Mec, je sais qui tu es. Tu tiens à tes rotules ?). Ce cher Lee a également signé “After Six”, plus belle chanson sur le thème du pilier de bistro qui déballe sa vie miteuse à un barman stoïque. On imagine la scène dans le décor de Nighthawks d’Hopper (plus poétique que le Jackson Pollock du lendemain, exécuté par un moustachu moins fringuant).

    Et comme lever le coude n’a jamais été réservé à la gent masculine, terminons avec la plus choucroutée et tatouée d’entre tous, la bien nommée Amy Winehouse. Si les artistes cités plus haut ont plutôt composé des chansons contribuant à la TTGGDB (ou Très Très Grosse Gueule De Bois), elle a défoncé les charts avec “Rehab” où elle expliquait avec persuasion que non, non, non, elle n’irait pas en désintox. Efficace, oui. Et rétrospectivement poignant. Je lui préfère encore “You Know That I’m No Good” dans la catégorie dégoût de soi post-cuite, chanté avec tant d’âme qu’on en pleure dans son verre en l’écoutant (faites gaffe, ça dilue l’alcool).

    Comme j’ai bien appris à séparer l’artiste de l’homme, uniquement si j’aime son œuvre, je balance en bonus “Man In The Mirror” de Michael Jackson. Ok, ça ne parle pas d’alcool, mais quand il dit, Je commence par l’homme dans le miroir, je lui demande de changer ses habitudes, j’ai toujours envie de brailler, SERMENT D’IVROGNE. On l’a tous juré à l’individu dans le miroir le matin où on ne le reconnaissait pas et on a remis ça le week-end suivant.

    Allez, petit scarabée, dès que les Tambours du Bronx-Burundi auront cessé leur jam, mets un de ces disques et cuve en musique jusqu’à la prochaine… Merci qui ?


  6. Quoi écouter quand… Tu te fais plaquer lâchement

    mai 27, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique de Benjamin Peurey

    Il n’y a pas eu de signes avant-coureurs. Pas de “Il Faut qu’on parle”, équivalent verbal en termes d’angoisse de l’apparition au pied du lit en pleine nuit d’un type cagoulé, armé d’une tronçonneuse et fredonnant du Maître Gims. Tout allait donc bien, jusqu’à ce coup de fil vous apprenant que vous êtes largué, telle la proverbiale vieille chaussette.

    Le cœur en miettes, l’ego piétiné (à ne pas confondre avec le Lego piétiné, également source de grande douleur), le moral dans les chaussettes (larguées, comme vous), vous n’avez plus envie de rien. Sauf de vous rouler en boule en pleurant sur votre sort avant de trouver la force de vous confier à tout ami/copain/vague pote muni d’oreilles et capable de hocher la tête avec conviction quand vous revenez sur la conclusion tragique de votre histoire pour la quinzième fois en deux pintes.

    Avant de recevoir un Boulet de Platine pour votre interprétation marquante du type plaqué, de voir les derniers potes (ceux qui ne sont pas las de hocher la tête avec conviction) apporter des mouchoirs plutôt qu’un pack de bières à l’apéro, posez-vous la bonne question… Quoi écouter quand… tu te fais plaquer lâchement ?

    Une diablesse, bien sûr. Brune à guitare, un combo maléfique. En l’occurrence, Wanda Jackson. Et Heart Trouble, album de 2003 avec une liste d’invités qu’on aimerait à son anniversaire (Elvis Costello, Cramps, Dave Alvin, etc.), des standards du rockab’ dépoussiérés et une poignée de nouveautés pouvant passer pour des classiques perdus en route…

    Précisons d’abord que Wanda Jackson n’a rien à voir avec le Samuel L. homonyme. Ni le clan qui nous a donné la plus fameuse victime de chirurgie inesthétique. Avant d’avoir l’air de cette délicieuse tenancière de maison close de western déguisée en dame respectable sur la pochette de Heart Trouble, Wanda a été une pionnière du rockabilly, jouant de la guitare en talons aiguilles et brushing de Marge Simpson à la tête de son propre groupe à une époque où sa place était plus logiquement à faire les chœurs avant de retourner à la cuisine.

    Dans les années 1960, en tournée avec Elvis – Presley, pas Costello. FAUT SUIVRE – la rockabilly queen aurait succombé aux charmes du king of rock’n’roll. L’a-t-elle plaqué lâchement ? L’histoire ne le précise pas, mais c’est peut-être à la suite de ce chagrin d’amour qu’Elvis a entrepris d’enrober son cœur de graisse pour ne plus se le faire piétiner…

    Et sur Heart Trouble, bien qu’ayant passé l’âge d’être queen de quoi que ce soit contenant le mot rock, si ce n’est rocking-chair, Wanda déménage. Quand elle croise la manche avec une autre diablesse à guitare, rousse cette fois – Poison Ivy des Cramps – sur “Funnel Of Love », c’est une plongée dans la tente de la femme-serpent/pole-danseuse de la fête foraine de Freakstown sous champis hallucinogènes.

    Mais l’écouter chanter les peines de cœur, de cette voix unique, évoquant plus une adorable Muppet qu’une sirène, est immédiatement réconfortant. Surtout sur la chanson-titre, lorsqu’elle raconte à un futur ex (aussi nul que votre ex à vous, c’est sûr) ce qui lui arrivera lorsqu’ils ne seront plus ensemble, par sa faute à lui… Si ce n’est pas un peu jubilatoire, on n’y comprend rien. Allez pleurer ensuite un coup sur sa reprise tout en slide de “Crying Time” avec Elvis – Costello, pas Presley. ON VOUS A DIT DE SUIVRE. Mettez-la sur repeat. A force, vos canaux lacrymaux devraient s’assécher.

    Dans les commentaires, j’en entends déjà chouiner que si je n’avais pas été si snob, j’aurais choisi « It’s A Heartache » de Bonnie Tyler. J’aurais pu. Comme préférer les claquettes-chaussettes aux Converse. Et si l’espace d’un instant, l’idée m’a effleuré, Google a aussitôt fait remonter à ma mémoire cette reprise de 2003 (rebaptisée “Si tout s’arrête” et oui, fallait arrêter mais avant d’enregistrer) avec une certaine Kareen Antonn dont j’avais oublié l’existence…

    Alors si le réconfort n’est pas venu de Wanda Jackson, qui sait… ce duo au kitsch avoisinant celui d’une assiette baromètre décorative vendue au Bazar de la Poste en bord de mer pourra vous redonner le sourire. Merci qui ?


  7. Quoi écouter quand… ton frigo est vide et les commerces, fermés

    mai 20, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique de Benjamin Peurey

    L’humain, petite créature fragile perdue dans un monde hostile, affronte plus d’un péril au cours de sa fugace existence – pieds de meubles se jetant sur ses orteils, fête de la musique, réchauffement climatique. Pire encore, sa survie ne tient plus qu’à un fil lorsqu’il constate, rongé par la faim, que son frigo est cruellement vide. Et qu’il est minuit du soir… Il est alors tenté d’envisager l’auto-cannibalisme (idéal pour le célibataire peu douillet), le sacrifice du petit dernier (s’il est très jeune et encore très moelleux) ou de l’animal de compagnie. Voire de s’attaquer aux plantes vertes pour les végétariens.

    Mais l’humain, créature capable d’apprécier l’art, pourra aussi se demander, quoi écouter quand… le frigo est vide et que les magasins fermés… Il choisira alors, d’une main tremblante, hypoglycémie oblige, Poultry In Motion (2000), compilation d’Hasil Adkins consacrée au poulet.

    Hasil qui ? Alcoolique sévère, obsédé sexuel, autodidacte à guitare, buveur de café au litre, Adkins existe en marge de l’histoire du rock’n’roll, personnage déjanté à côté duquel ce bon Jerry Lee passerait presque pour pantouflard.

    Si vous êtes fan des Cramps, vous connaissez un de ses morceaux, le frénétique et secoué “She Said”. Et c’est ça, le style Adkins. Des morceaux chaotiques, hoquetants, à la croisée du rock’n’roll et de la country, baignant dans une esthétique férocement DIY. Un de ses albums indique même sur sa pochette que “la qualité sonore de certains morceaux peut varier selon ses niveaux d’ivresse”…

    Mais que trouve-t-on dans ce best-of volailler, qu’on n’ose à peine surnommer Nuggets 4 ? Du très brut de décoffrage avec de la friture sur la ligne. Du blues cabossé, du rock’n’roll bourré de spasmes. Des morceaux brefs et nerveux, parfois surréalistes comme de l’outsider art sonore. Des imitations de poulet de l’hyper-espace (Les fans d’Arrested Development se souviennent de cette scène magique où la famille Bluth se met à imiter des poulets sans doute coachée par Hasil Adkins. C’est le maître du bruit de poulet foireux. Un titre que je ne décerne pas en vain).

    Evidemment, l’humain affamé écoutera en boucle “Cookin’ Chicken”, se souvenant de l’époque bienheureuse où lui aussi pouvait cuisiner et s’endormira, l’estomac creux, certes, mais les rêves hantés par des images de poulets géants jouant de la guitare…

    Et les végétariens, véganes et volaillophobes ? Ils traînent leur carcasse affaiblie jusqu’à la lettre B de la discothèque et prennent Smiley Smile pour écouter ce magnifique hymne aux légumes qu’est “Vegetables”. Du pur Beach Boys avec harmonies vocales, rythme catchy et message de Brian Wilson, qui voulait encourager ses compatriotes à croquer des carottes… La légende veut que les cronch-cronch enthousiastes qu’on entend çà et là sont l’œuvre de Paul McCartney. Et si ce n’est pas 100% vérifiable, je veux y croire. Ne serait-ce que pour imaginer la scène.

    “Allo, Paulo, c’est Brian Beach Boy. Tu fais quoi aujourd’hui ? Ça te dirait de croquer des carottes en studio ?”

    “Je ne veux pas faire ma diva, mais je suis plutôt dans une période céleri… Ça t’ira ?”

    Impossible de vérifier si cet hypothétique céleri était bio. Si Macca l’a apporté, comme n’importe quel musicien venant en studio avec son instrument fétiche. Si un roadie l’a découpé et lavé pour lui… Et pendant qu’à votre tour, vous serez hantés par ces angoisses légumières, vous ne penserez plus aux tourments de votre estomac vide. Merci qui ?


  8. Quoi écouter quand… rien à faire, t’arrives pas à dormir

    mai 13, 2020 by Isabelle Chelley

    Cette nouvelle rubrique du blog remis en état est issu d’un intense brainstorming avec Benjamin Peurey. C’est lui qui se charge des illustrations et qui a eu l’idée de ce ping-pong : il dessine une situation, à moi de trouver l’album pour lui répondre. Dans la vraie vie, ce maniaque des disques est aussi auteur d’excellents recueils de nouvelles et parolier à ses heures. Oui, il est un peu agaçant.

    Que faire quand même le fait de compter les mauvaises reprises de “Hallelujah” n’aide pas à trouver le sommeil ? Ecouter un disque, bien sûr, c’est même suggéré dans le titre de cette rubrique. Oui, mais pas n’importe lequel.

    A 3h39 du matin, la tentation serait grande de se ruer sur une anthologie du death metal, histoire que PERSONNE ne dorme dans le quartier. Ou de transformer sa chambre en Studio 54 (ou Piaule 6m2, selon sa superficie) en mettant une bonne vieille compilation de disco, dans le vain espoir qu’imiter la choré des Bee Gees dans le clip de “Staying Alive” finira par avoir raison de nos forces…

    Tout cela serait trop facile. Alors… Quoi écouter quand, rien à faire, pas possible de fermer l’œil ? C’est le moment idéal pour piocher “Sleepless Nights” de Gram Parsons dans sa discothèque.

    Pour les cancres du fond qui disent “Gram qui ?”, présentation express du monsieur. Ce fils de bonne famille (et d’alcooliques notoires) se prend de passion pour la country lorsqu’il est à l’université et devient guitariste rythmique des Byrds au moment de “Sweetheart Of The Rodeo” puis fonde les Flying Burrito Brothers, groupe de country rock au succès critique inversement proportionnel à ses ventes d’albums.

    Signes particuliers : il raffolait des poudres illégales qu’on s’injecte ou qu’on inhale et des costumes de Nudie’s, grand faiseur de tenues à sequins capables de transformer n’importe quel chanteur de country lambda en boule à facettes vivante (Non, tu poses cette compil’ de disco !) Et si sa vie a été relativement brève – il n’atteint même pas les 27 ans fatidiques et clichés – sa mort donne des idées à ses amis qui décident d’organiser une petite crémation party dans le désert de Joshua Tree et pour ce faire, volent son cercueil… Avec lui, mort, dedans. On savait s’amuser dans les seventies.

    Fin de la parenthèse. Revenons à “Sleepless Nights”. On ne va pas se mentir. A la première écoute, on le classerait volontiers dans la catégorie des disques agréablement chiants – un peu mou par moments, mais assez gracieux pour ne jamais tomber des oreilles. A l’origine, il s’agit plus d’une sorte de créature de Frankenstein sur disque, assemblé à partir des dernières séances en studio de Parsons avec les Flying Burrito Brothers et d’autres avec Emmylou Harris, deux mois avant sa mort, pour son dernier album solo. Leurs trois duos sont parfaits. La chanson “Sleepless Nights” fait même vibrer mon petit cœur de pierre, avec ses paroles qui en vont un tantinet trop loin dans le registre larmoyant – mais c’est ça aussi la beauté de la country. (Il n’y a que là qu’on supplie Jolene de ne pas nous piquer notre mec au lieu d’aller lui péter les dents, non mais).

    En revanche, il peut arriver que les Flying Burrito Brothers évoquent la spécialité tex-mex un peu lourdingue contenue dans leur nom. Leur reprise de “Honky Tonk Women” se traine tellement qu’on en arrive à se demander si elle ne dure pas bien plus que les quatre minutes et des poussières affichées au compteur. Et là, même après l’absorption massive de cafés ristretto, des soucis de digestion, des angoisses existentielles, un concert de marteau piqueur et une nuée de moustiques s’étant invités dans la chambre, il y a toutes les chances qu’on sombre dans le sommeil du juste…  Merci qui ?