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  1. Quoi écouter quand… ton frigo est vide et les commerces, fermés

    mai 20, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique de Benjamin Peurey

    L’humain, petite créature fragile perdue dans un monde hostile, affronte plus d’un péril au cours de sa fugace existence – pieds de meubles se jetant sur ses orteils, fête de la musique, réchauffement climatique. Pire encore, sa survie ne tient plus qu’à un fil lorsqu’il constate, rongé par la faim, que son frigo est cruellement vide. Et qu’il est minuit du soir… Il est alors tenté d’envisager l’auto-cannibalisme (idéal pour le célibataire peu douillet), le sacrifice du petit dernier (s’il est très jeune et encore très moelleux) ou de l’animal de compagnie. Voire de s’attaquer aux plantes vertes pour les végétariens.

    Mais l’humain, créature capable d’apprécier l’art, pourra aussi se demander, quoi écouter quand… le frigo est vide et que les magasins fermés… Il choisira alors, d’une main tremblante, hypoglycémie oblige, Poultry In Motion (2000), compilation d’Hasil Adkins consacrée au poulet.

    Hasil qui ? Alcoolique sévère, obsédé sexuel, autodidacte à guitare, buveur de café au litre, Adkins existe en marge de l’histoire du rock’n’roll, personnage déjanté à côté duquel ce bon Jerry Lee passerait presque pour pantouflard.

    Si vous êtes fan des Cramps, vous connaissez un de ses morceaux, le frénétique et secoué “She Said”. Et c’est ça, le style Adkins. Des morceaux chaotiques, hoquetants, à la croisée du rock’n’roll et de la country, baignant dans une esthétique férocement DIY. Un de ses albums indique même sur sa pochette que “la qualité sonore de certains morceaux peut varier selon ses niveaux d’ivresse”…

    Mais que trouve-t-on dans ce best-of volailler, qu’on n’ose à peine surnommer Nuggets 4 ? Du très brut de décoffrage avec de la friture sur la ligne. Du blues cabossé, du rock’n’roll bourré de spasmes. Des morceaux brefs et nerveux, parfois surréalistes comme de l’outsider art sonore. Des imitations de poulet de l’hyper-espace (Les fans d’Arrested Development se souviennent de cette scène magique où la famille Bluth se met à imiter des poulets sans doute coachée par Hasil Adkins. C’est le maître du bruit de poulet foireux. Un titre que je ne décerne pas en vain).

    Evidemment, l’humain affamé écoutera en boucle “Cookin’ Chicken”, se souvenant de l’époque bienheureuse où lui aussi pouvait cuisiner et s’endormira, l’estomac creux, certes, mais les rêves hantés par des images de poulets géants jouant de la guitare…

    Et les végétariens, véganes et volaillophobes ? Ils traînent leur carcasse affaiblie jusqu’à la lettre B de la discothèque et prennent Smiley Smile pour écouter ce magnifique hymne aux légumes qu’est “Vegetables”. Du pur Beach Boys avec harmonies vocales, rythme catchy et message de Brian Wilson, qui voulait encourager ses compatriotes à croquer des carottes… La légende veut que les cronch-cronch enthousiastes qu’on entend çà et là sont l’œuvre de Paul McCartney. Et si ce n’est pas 100% vérifiable, je veux y croire. Ne serait-ce que pour imaginer la scène.

    “Allo, Paulo, c’est Brian Beach Boy. Tu fais quoi aujourd’hui ? Ça te dirait de croquer des carottes en studio ?”

    “Je ne veux pas faire ma diva, mais je suis plutôt dans une période céleri… Ça t’ira ?”

    Impossible de vérifier si cet hypothétique céleri était bio. Si Macca l’a apporté, comme n’importe quel musicien venant en studio avec son instrument fétiche. Si un roadie l’a découpé et lavé pour lui… Et pendant qu’à votre tour, vous serez hantés par ces angoisses légumières, vous ne penserez plus aux tourments de votre estomac vide. Merci qui ?