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  1. Cannonball, l’adolescence n’est pas une chanson douce

    septembre 16, 2020 by Isabelle Chelley

    Jazzy et Bonzo, chihuahuas lettrés et mélomanes vous recommandent chaudement la lecture de cet ouvrage qu’ils trouvent très réussi. Bien que la couverture ait été dessinée par un certain Mathieu Persan, qu’ils soupçonnent d’être un chat à poils longs comme son nom l’indique…

    50 chapitres allant de pair avec autant de chansons, le tout racontant une histoire, en l’occurrence celle de l’auteure, Sylvia Hansel, oui, cette Sylvia-là. Celle dont je vous rebats les oreilles en raison de son génial podcast. La même qui a sorti deux albums, un EP de reprises et le petit nouveau, From The Muddy Banks Of The Marne, disponible sur Bancamp, avec quelques morceaux choisis tirés de Cannonball l’adolescence n’est pas une chanson douce. Ah, et elle a aussi écrit deux romans (Noël en février, Les Adultes n’existent pas), parce qu’elle ne manque pas de cordes à son arc ou de poêlons à son appareil à raclette comme elle préférerait sans doute que je dise.

    Mais revenons à Cannonball. Plus de 350 pages qu’on dévore avec la ferveur qu’on a pu avoir, adolescent, en se plongeant dans son mensuel de rock favori. Le ton de Sylvia est direct, sans affect, parlé, juste parfait pour raconter une histoire parfois drôle et futile (comme l’adolescence), sombre et grinçante (comme l’adolescence), avec cette touche d’acidité qui caractérise certains textes de ses chansons. Elle n’élude jamais un épisode, si peu glorieux soit-il pour elle. Si souvent je trouve que l’authenticité est une valeur surestimée en musique (je suis une mauvaise personne préférant souvent une pose rock’n’roll et un riff qui décoiffe à une ballade sincère certes, mais peu propice à la stimulation de mon cerveau reptilien), dans le cas de Cannonball, elle est très rafraichissante. Voire glaçante, par moments.

    Cette interview a quelque chose d’incestueux, puisque Cannonball, l’adolescence n’est pas une chanson douce est né grâce à une rubrique de ce blog. Mais je suppose que l’idée était déjà là avant…

    Oui, elle devait traîner quelque part dans ma tête, depuis Fargo Rock City de Chuck Klosterman, Basse Fidélité de Philippe Dumez, et surtout Rob Sheffield avec Bande Originale, un bouquin dont chaque chapitre est introduit par une compilation sur K7 qu’il a vraiment faite à un moment de sa vie. Il y raconte comment il a dragué une fille, se retrouve à sortir avec, l’épouse… Et, pas de bol, ils étaient mariés depuis à peine cinq ans lorsqu’elle est morte d’une embolie pulmonaire. Il s’est retrouvé veuf très jeune. Ce livre est magnifique. À chaque fois tu as la liste des chansons pour faire la vaisselle, pour conduire, etc. Il a aussi écrit Tomber les filles avec Duran Duran, qui parle de son adolescence. J’ai trouvé chez lui ce que je ne trouvais pas chez les critiques musicaux qui, souvent, reprennent ce qui a été dit en interview, genre « c’est notre album le plus réussi depuis des années, etc. », mais ne parlent pas vraiment de la chanson. Parfois, ils disent vite fait de quoi elle parle, sans traiter de leur relation personnelle avec elle. Et, à moins qu’il ne s’agisse de Dylan, des Beatles ou des Stones (même les Who et les Kinks n’ont pas droit à ce traitement) les paroles, on s’en fout. Les circonstances de l’enregistrement, ce qui se passait dans la vie du mec quand il a écrit ça, on n’en sait rien… et c’est ce qui m’intéresse, justement.

    Dans tout le livre, tu as un ton assez brut, tu ne camoufles pas les faits. Il s’agit de ton rapport intime avec une chanson, même si les souvenirs ne sont pas brillants…

    Et certaines chansons ne sont pas forcément brillantes.

    D’ailleurs, y a-t-il des morceaux que tu t’es interdit ?

    J’ai hésité sur « MMMBop », Alanis Morissette et Renaud. Au moment où il a sorti sa chanson sur le « connard de virus », il était trop tard pour revenir sur mon chapitre et y ajouter quelques lignes sur ce truc, parce que là, c’est vraiment la honte… J’ai retiré un passage sur ce qu’il est devenu en vieillissant, je disais que je préférais mourir avant de devenir comme lui aujourd’hui. Je me suis beaucoup interrogée sur le fait de parler de Renaud et d’avouer à la face du monde que ça a été une figure importante de la musique de mon adolescence. Et pareil pour Noir Désir, parce que Bertrand Cantat, c’est très gênant.

    Tu précises dans le livre que c’était avant qu’il ne tue une femme à coups de poings.

    Oui, et à l’époque, on était persuadés que c’était un bon gars. Pour raconter l’été 1997, j’aurais aussi pu choisir une chanson de Eels ou de Bowie sur Hunky Dory, mais pour moi, cet été là, c’était vraiment “Là-bas” de Noir Désir, qui est une super chanson que peu de gens connaissent.

    Dans Cannonball, il y a un mélange de souvenirs très douloureux et très drôles…

    J’y suis allée sans filtre. Au départ, je ne voulais pas faire ça. Tu m’as demandé, pour la rubrique S’il n’en reste qu’une de ton blog, quelle était ma chanson préférée de tous les temps… Et je me suis mise à écrire sur « Wild Horses » alors que j’étais censée bosser sur autre chose, et j’ai passé une ou deux heures magnifiques à me rappeler de ça. Je me suis sentie tellement bien que j’ai eu envie de recommencer. J’ai entamé l’écriture de ce livre un mois ou deux après. Ça m’a fait un bien fou ! Au départ, je n’avais pas l’intention de parler de mes sphincters, de mes problèmes familiaux ou de mes premières relations sexuelles pourries. Je voulais vraiment parler de musique, mais le reste est sorti tout seul. Ça me faisait du bien, et j’ai pensé que ça pouvait intéresser les gens. Mais je prends un risque en faisant cela, parce que si une personne mal intentionnée veut m’attaquer, elle pourra viser dans le mille en connaissant ma vie perso que j’ai vraiment vécue. Après, je peux m’exposer à ça, j’ai presque 40 balais, je n’ai plus à me cacher.

    La question rituelle de la rubrique Mes Disques A Moi dans Rock&Folk : premier disque acheté.

    Il faut savoir si c’est une cassette ou un CD.

    La cassette, vu que tu as commencé par là.

    C’est un problème, parce qu’il s’agit de l’album de Début De Soirée.

    Le monde veut donc savoir comment on peut passer de Début de Soirée aux Breeders…

    Ça ne s’est pas fait en un jour. Début De Soirée, j’avais 7 ans et j’écoutais ce qui venait. Un jour, ma cousine m’a dit « Cette chanson est géniale, c’est Début De Soirée », et j’ai trouvé ça génial… Bon, OK, ma cousine et moi avions écrit une lettre au fan-club et on avait reçu chacune une photo dédicacée. Dans mon enfance, il m’est vraiment arrivé d’aimer des merdes. J’enregistrais beaucoup de choses à la radio, des Stop ou encore sur RTL que ma mère écoutait. J’ai enregistré ceux de Polnareff et Cabrel en sixième, juste avant de passer aux trucs bien… Ce n’était pas nul. J’aimais bien aussi Scorpions, la BO de Dirty Dancing… qui n’était pas totalement pourrie, il y avait des productions de Phil Spector ! Puis j’ai rencontré ces filles qui étaient fans des Doors, que je me suis mise à aimer. Ma deuxième cassette achetée, c’était Morrison Hotel. Même si je n’ai pas parlé des Doors dans le livre, parce qu’il fallait le faire commencer à une date symbolique : j’ai choisi celle de mes premières règles. Mes copines écoutaient les Doors, mais sont vite passées au Velvet, et j’ai eu une transition assez logique. Début De Soirée, Kylie Minogue, Polnareff, puis Dirty Dancing, les Doors et le Velvet. Mais j’ai eu du mal avec le Velvet, je me forçais, c’était ce qu’il fallait écouter pour être cool comme mes copines. J’avais le best-of. Les premières chansons que j’aimais bien, c’était « Stephanie Says », « Femme Fatale », « I’ll Be Your Mirror ». J’avais un peu de mal avec le chant de Nico qui n’était pas juste-juste, ce n’était pas formaté FM non plus. Et c’est avec « Pale Blue Eyes » que je suis venue à apprécier d’autres trucs, comme « Heroin » et « Lady Godiva »…

    Et c’est à cause de la femme de Lou Reed, Sylvia Morales, que tu es passée de Sylvie à Sylvia. Je n’avais jamais fait le rapprochement…

    J’étais revenue de vacances où je m’étais trouvé un Best sur le Velvet, et je m’étais tellement fait chier que je n’avais lu que ça. J’étais avec mon père sur la côte belge où personne ne parle français, et où on te regarde de travers si tu parles français, donc je n’avais rien fait d’autre que lire cette interview de Lou Reed, et je ne parlais plus que de lui à mon tour. D’où les copines me chambrant : « Eh, t’es Sylvia Reed ou quoi ? »

    À quel moment, même si c’est très diffus quand on le vit, comprends-tu que la musique va te sauver la vie, comme l’héroïne de la chanson « Rock’n’Roll » de Lou Reed ?

    Je ne suis pas sûre d’avoir compris les paroles de cette chanson la première fois que je l’ai écoutée. Du moins pas avant le numéro des Inrocks bien encyclopédique sur le Velvet… Mais j’ai toujours su que je voulais faire de la musique. J’ai voulu être chanteuse dès que j’ai vu le dessin animé Creamy. Je me souviens d’avoir rendu visite à mon grand-père très malade à l’hôpital, il avait été amputé des deux jambes avant sa mort. J’avais pris une feuille et un crayon et, quand on m’avait demandé ce que je faisais, j’avais répondu : « J’écris une chanson. » Je ne sais plus de quoi elle parlait, mais j’en ai écrit très tôt. Même à 4 ans, j’avais un pauvre petit synthé jouet et j’inventais des mélodies. Mais c’est vers 1993, avec le Velvet, quand j’ai quitté la Lorraine, que j’ai vraiment su que je voulais faire de la musique. C’était évident.

    Dans le livre, on a le sentiment que tu as rencontré beaucoup de passeurs qui t’ont fait découvrir des disques. Tu as le sentiment, avec ce livre, que tu vas tenir ce rôle ? Tu as eu ce désir de contaminer les autres ?

    Il y a des gens, en général des disquaires ou des journalistes, qui ont cette vocation de passeur. Moi, ce n’est pas ma vocation, mais j’ai eu ce rôle parfois… J’ai fait découvrir le Velvet à pas mal de gens. Puis, à une période de ma vie ultérieure au bouquin, quand je revenais du bar avec un coup d’un soir, il ne ressortait pas avant d’avoir écouté Pod des Breeders. Je les obligeais tous à écouter Pod, qui est l’un des meilleurs albums du monde, mais en général, les mecs ne le connaissaient pas.

    On a en commun ce goût pour les choses qui sont antérieures à notre génération. Au lycée, j’écoutais Bowie et Iggy, et j’avais un mépris total pour les fans de boys bands, parce qu’en plus les boys bands ne jouaient pas d’instruments.

    C’est clair ! C’était une insulte, quand j’étais au collège, je traitais les filles d’écouteuses de dance. « Sale écouteuse de dance ! » Aujourd’hui, je dis plutôt « sale bourge ».

    Pour écrire ce livre, es-tu partie de ton histoire ou des disques ? T’es-tu replongée dans tes compilations annuelles ?

    Oui, je me suis replongée dedans. En fait, je suis partie de mon histoire, mais elle est tellement liée aux chansons que je ne sais même plus… c’est l’œuf et la poule. J’ai très tôt pris le parti d’en faire un récit chronologique. Il y a eu certaines périodes où j’ai dû choisir UNE chanson parmi d’autres. J’ai même eu des problèmes. En 1995, j’écoutais presque exclusivement les Stones. Au début, je m’étais dit que je ne mettrais qu’une seule chanson par artiste, mais je me suis rendu compte que ça n’allait pas être possible.

    Dans ce livre, comme dans ton podcast, tu as un ton très parlé. Ça ne veut pas dire que ce n’est pas écrit, mais on a le sentiment que tu parles aux gens. On entend ta voix en te lisant…

    Ceux qui me connaissent me disent ça. Je note les choses comme elles viennent. C’était pareil dans les deux livres précédents.

    Ce livre est-il un prolongement de ton podcast ?

    C’est le contraire. J’ai commencé à écrire le livre en septembre 2016. L’idée du podcast est venue de Joachim, mon mec, sur le modèle du livre dont je lui parlais au fur et à mesure de l’écriture. Quand j’écrivais sur une chanson, il m’arrivait d’essayer d’apprendre à la jouer à la guitare. Savoir les jouer m’aidait à mieux comprendre la structure mélodique, les paroles, etc. Comme mon mec est là, dans le salon, quand je m’exerce quotidiennement à la guitare, je lui racontais mes anecdotes relatives à ces chansons, ou bien l’histoire des chansons elles-mêmes. Et il s’est dit que ça ferait un bon podcast.

    Tu as aussi à ton actif deux albums, et un troisième que tu vas enregistrer…

    Et un EP, Train Songs, mais comme c’est des reprises, je ne le considère pas comme un vrai album. Et je vais sortir un album de reprises de chansons dont je parle dans le bouquin. Elles n’y sont pas toutes, j’ai choisi celles que j’avais envie de jouer et que je n’allais pas trop massacrer. Je n’allais pas reprendre Cannonball, par exemple, même si c’est le titre du livre. En acoustique dans son salon, ce n’est pas possible. D’ailleurs, je n’ai jamais entendu parler de quelqu’un qui ait fait une bonne reprise de ce morceau.

    Tu enregistres et joues seule. Est-ce par défaut ?

    Je suis trop chiante pour que d’autres musiciens aient envie de m’accompagner. Ou alors, il y en a certains qui en ont envie, mais je suis trop exigeante, je ne les trouve pas forcément dans mon style. Je n’aime pas trop le mot “perfectionniste”, mais j’entends mes compositions dans ma tête, et si le pauvre musicien plein de bonne volonté n’arrive pas à jouer ce qu’il y a dans ma tête… je préfère le faire moi-même. Ce qui est chiant au moment des concerts. J’aimerais bien pouvoir tout faire à la fois… Bon, si on est partis pour ne plus jouer que des concerts confinés, ça va être possible, au final.

    Tu m’as souvent dit que tu n’avais pas d’imagination. Es-tu consciente que c’est un énorme avantage pour écrire ce livre qui puise directement dans tes souvenirs ?

    J’ai peu d’imagination, mais une bonne mémoire. Après, la mémoire, c’est comme internet ou un couteau, c’est un outil. Parfois, ça peut faire du mal… J’aimerais avoir oublié certaines choses. Et j’aimerais que les gens se souviennent de choses que je leur ai dites alors qu’ils affirment que ce n’est pas arrivé. J’aimerais bien imaginer des histoires, je lis pas mal de SF et de fantasy et je suis hyper admirative des gens qui créent des mondes. J’en serais incapable. Mais j’ai le projet d’écrire des fictions. Ce ne sera pas dans des univers avec des gens ayant des pouvoirs paranormaux, mais j’écrirai des histoires autres que les miennes, et je pense qu’il fallait que j’écrive ce livre d’abord… je me sens mieux depuis.

    Il est très cathartique, d’ailleurs.

    J’ai l’impression d’avoir gagné en assurance, je bois moins, j’ai arrêté de fumer…

    On peut recommander Cannonball à ceux qui veulent moins boire et cesser de fumer. On parlait du fait que tu joues seule, mais ce serait quoi, ton line-up de rêve ?

    Déjà, on va prendre Brian Eno période glam à la production, pour qu’il trouve plein d’idées extravagantes. À la basse, quand je n’en joue pas, je veux bien Carol Kaye, du Wrecking Crew. À la batterie, la batteuse d’Electrelane, au banjo ma pote Camlamity Mo, à la guitare lead et aux harmonies Kelley Deal, en plus elle joue de la slide. À la guitare rythmique j’ai vraiment peu d’idées mais je pense que Keith Richards (période Beggars) devrait s’en sortir… Ah oui, et le mec qui joue de la pedal steel sur Harvest avec Neil Young !

    Au début du livre, tu parles de la nostalgie et du plaisir de réécouter de vieux morceaux, de ne pas toujours être dans la découverte, et tu avances que la plupart des gens qui prétendent toujours chercher des nouveautés sont, au fond, comme toi.

    On a l’impression qu’il faudrait toujours que tout soit nouveau. J’ai au moins une fois par semaine un ou une pote qui me demande si j’ai découvert des trucs bien. Ou qui se plaint de n’avoir rien découvert de bien récemment. Mais ce n’est pas grave, il y a un tas de vieux trucs à découvrir ou redécouvrir ! Pour en revenir à l’anti-nostalgie, il y a vraiment des milieux où on se fait basher si on dit que c’était mieux avant… Et il y a beaucoup de gens d’un certain âge qui se raccrochent au fait de vouloir écouter des choses modernes et nouvelles, pour dire : « Eh, je ne suis pas si vieux que ça ! » Je ne dis pas que c’est mal de chercher à avoir des coups de cœur, mais il ne faut pas que ce soit à tout prix.

    Tu as le sentiment qu’on n’a pas la même intensité d’écoute à 15 ans qu’à 35 ?

    C’est sûr. J’ai fait des découvertes merveilleuses passé 25 ans : Electrelane, par exemple, c’était magique de tomber amoureuse en écoutant ce groupe. Amy Winehouse aussi. Je l’ai écoutée avec la même intensité que si j’avais eu 15 ans. Mais ça arrive moins souvent. J’ai l’impression qu’à l’adolescence, j’ai eu du bol de rencontrer les bons passeurs et d’avoir été sensibilisée au bon goût, mais sans ces rencontres j’aurais pu vivre tout aussi intensément avec Take That. Je n’en sais rien. Dans le livre j’ai inclus, par exemple, un titre de The Wall alors que je ne peux plus l’écouter. À l’adolescence, on est tellement malléable que même une merde peut te rappeler ton premier amour ou ta clope derrière le tas de bois en cachette des parents…

    Un tome 2 avec l’âge adulte, c’est faisable ? Même si ce serait moins linéaire et qu’il y aurait moins de premières fois…

    J’ai un peu envisagé d’en écrire un sur la décennie suivante, où j’ai commencé à avoir des groupes, ça pourrait avoir un intérêt documentaire sur la scène des baby rockers, vu qu’on avait rangé mon groupe Little Fury là-dedans alors qu’on avait déjà 23 ans… Mais j’ai d’autres projets pour l’instant. Je n’ai pas envie de raconter ça tout de suite, d’autant que ça toucherait des gens que je fréquente toujours. Je déplairais beaucoup à certains, qui sont devenus des musiciens un peu connus, des journalistes, etc. Ce bouquin a été un gros boulot, ça représente trois ans d’écriture. Bon, je n’ai pas fait que ça, j’ai un vrai boulot à côté et des projets musicaux, mais dès que j’avais une petite période de chômage, j’étais dessus toute la journée.

    La musique a-t-elle toujours cette fonction vitale aujourd’hui ?

    Oui, absolument. Mais il se passe moins de trucs dans ma vie, et je n’ai plus une chanson préférée par mois, que j’écoute en boucle.

    Adolescente, à qui tu t’identifiais, en musique ?

    Au tout début, je n’écoutais que de la musique de mecs et, dans une certaine mesure, je ne pouvais pas vraiment m’y identifier. Mais quand Courtney Love est arrivée… c’était difficile de s’identifier à elle, car tout le monde la détestait – et ça continue. Même des gens très bien ont un truc contre elle. J’avais commencé par la haïr. J’aimais bien Kurt Cobain, ce petit blondinet qui avait l’air si sympa et elle, c’était la méchante. Un an plus tard, j’ai acheté Live Through This et c’était tellement bien, c’était l’album que j’aurais aimé faire ! Dès « Violet », je suis restée scotchée sur ma chaise jusqu’à la fin du disque, sans rien faire. J’étais bouche bée. Mais Courtney était quand même un peu extrême pour moi. Et quand j’ai connu Kim Deal, j’ai compris que je pouvais envisager, moi aussi, de faire de la musique. Que ce n’était pas qu’un rêve. Kim Deal ne faisait aucun effort de séduction, elle était un peu grosse, un peu mal fringuée, elle n’avait pas une voix extraordinaire… Parce que je serais incapable de chanter comme Courtney, alors que Kim Deal, elle aime bien les mélodies bubblegum. Il y a aussi un côté vachement arty chez les Breeders.

    Le côté « je peux le faire aussi », c’est l’effet que les punks ont eu sur une génération…

    Pas pour moi. Tout le monde prétend que les punks ne savaient pas jouer, j’ai écouté Never Mind the Bollocks et putain, ça joue super bien ! C’était frustrant. J’aurais voulu rencontrer quelqu’un comme Viv Albertine à l’adolescence. J’ai adoré son livre De Fringues, de musique et de mecs. Je me suis identifiée à elle en le lisant. Je précise que j’avais déjà fini d’écrire Cannonball, mais il y a beaucoup de similitudes, j’ai un peu peur qu’on pense que j’ai copié sur elle, alors que non. On a simplement vécu des choses assez semblables, et choisi de les raconter sur le même ton.

    Mais elle, c’était une Muswell Hillbillie et toi…

    Mon prochain album s’appellera Moselle Hillbillie, avec une photo de hauts fourneaux sur la pochette ! Et je peux juste ajouter une chose ? L’album de reprises qui accompagne ce livre n’aura pas de support physique, il sera téléchargeable sur Bandcamp à prix libre. Désolée, j’ai fait mon album de confinement ! C’était aussi un moyen de faire découvrir ce que je joue aux lecteurs, et inversement, car étrangement, ce ne sont pas les mêmes personnes qui lisent mes livres et écoutent mes disques, ou mes podcasts…

    Pour terminer, rien à voir… C’est quoi tes gros mots préférés quand tu fais un pain à la guitare ?

    Bon dieu de bois de merde à la chiotte de con !


  2. Quoi écouter quand… la vie est parfaitement déprimante ?

    juillet 8, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique : Benjamin Peurey

    Il y a des jours (ou des mois) comme ça. La perspective d’affronter le monde – ou son poisson rouge de compagnie – est insurmontable. Dehors, il fait beau et c’est comme si la météo se payait ta tronche, Petit Scarabée car dans ton cœur, il pleut assez pour transformer le Sahara en rizière. Ton existence est rythmée par tes soupirs et s’il te restait de l’énergie, tu hausserais les épaules pour ponctuer ces “A quoi bon ?” devenus ta devise. Car oui, la vie est nulle et tu es le seul à t’en être rendu compte…

    Tu as tenté d’avertir tes proches, lors de tirades désabusées mêlant réchauffement climatique, audimat d’Hanouna, fuite en avant de l’humanité, terre-platisme, engouement durable pour le combo claquettes-chaussettes, chômage en hausse et impossibilité de trouver des Figolu recette authentique dans ton quartier. Tu as vite compris que personne n’écoutait et si Cloclo, le chanteur électricien ne te hérissait pas le poil, tu aurais repris à ton compte les paroles du “Mail Aimé”, abandonné de tous que tu es. Oui, même les cafards installés dans ton appartement miteux ont décampé, se plaignant de l’ambiance sinistre qui y règne.

    Si tu étais un Bisounours, tu serais Grosse Déprime. Chez les Powers Rangers, on t’appellerait Force Xanax. Et dans Star Wars, tu serais du Côté Hyper Sombre de la Force. Ça ne va tellement pas fort du tout que tu ne te demandes même plus : Quoi écouter quand… la vie est parfaitement déprimante ?

    Je ne vais pas y aller avec le dos de la main morte, Petit Scarabée. Vu ton état, il y a longtemps que tu as dépassé le stade où tu peux faire la chenille sur “You Want It Darker” de Leonard Cohen. Il te faut un électrochoc. Un album qui te prouve que, même si la vie est une tartine d’épingles rouillées, il y en a qui extraient un peu de beauté et d’émotions à vif de toute cette horreur.

    Comme ce cher Trent Reznor, leader de Nine Inch Nails, sympathique groupe indus de Cleveland. Son légendaire The Downward Spiral est le genre d’album qui fait un bien douloureux par là où il passe. Un peu de background peut-être ? Le disque a été enregistré à Cielo Drive (Los Angeles), dans la villa où la Famille du gourou rissolé du ciboulot, Charles Manson, a massacré l’actrice Sharon Tate et quelques amis en 1969. Lieu idéal pour ressentir de mauvaises vibrations, ainsi que pour plancher sur un concept album parlant de la dégradation mentale d’un homme. Le fait qu’il ait été écrit alors que Reznor s’embourbait dans l’alcool, les substances et la dépression lui donne ce petit rien d’authenticité qui te réconfortera Petit Scarabée, car, oui, tu n’es pas seul. Pour un peu, Reznor aussi était affecté par la pénurie de Figolu.

    L’album s’ouvre sur le brutal et lancinant “Mr. Self Destruct” pour te plonger dans une ambiance depression-friendly et nul besoin d’un effort surhumain pour murmurer en chœur avec Trentinou, « je suis la sortie”. Quoi ? C’est trop violent pour toi, Petit Scarabée ? Passe à l’excellent “Closer”, tout aussi entêtant, mais plus accessible… N’écoute pas les paroles de trop près (disons que la phrase “je veux te baiser comme un animal” est l’une des moins dérangeante ici), mais va t’en chercher la superbe vidéo de Mark Romanek, enfilade d’images dérangeantes, mais parfois réconfortantes, comme lorsque le petit cafard filmé en gros plan se remet sur le dos (non, tu ne m’as pas entendu l’encourager) et s’en va en gambadant… Et je ne te parle pas du top au crochet de Reznor, sorti d’un remake indus du Père Noël est une ordure. Pour t’achever en beauté, rien de mieux que “Hurt”. Avoue-le : quand c’est Trent Reznor qui se plaint, ça a autrement plus de gueule que toi. Tu vois, Petit Scarabée, tu n’es pas le seul à trouver la vie parfaitement déprimante. Et dans certains cas, ça peut donner de très beaux résultats…


  3. Quoi écouter quand… tu reçois ton avis d’imposition ?

    juin 24, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique : Benjamin Peurey

    Cela fait déjà sept semaines qu’on se connaît, Petit Scarabée… Et permets-moi de te dire que plus d’une fois, j’ai envisagé un désenvoûtement. Car à ce niveau de pas-de-bol, j’ai l’impression que tu as été conçu sur un cimetière indien.

    Et ce matin, alors que, tout joyeux, tu te disais que pour une fois, pandémie oblige, tu avais échappé au pire de la (dé)Fête de la Musique sans croiser la route d’un seul groupe reprenant Téléphone et Dire Straits au djembé, une nouvelle tuile vient de tomber sur les larmes de ton plancher et le coin de ton museau.

    Dans ta boîte à lettres, entre une carte postale kitsch envoyée par un pote bloqué en 2016, la promo du supermarché sur les merguez en cette saison du barbecue et le flyer pour le grand marabout N’Ficell qui fait revenir l’être aimé, disparaître la cellulite incrustée et répare les disques durs à distance, tu le repères. Fourbe. Tapis dans un recoin, mais aussi identifiable qu’un gothique à la plage : ton avis d’imposition.

    Front transpirant, genoux mous, tu tentes d’ouvrir l’enveloppe d’une main tremblante, tandis que dans ta tête, les questions se bousculent : Vais-je devoir vendre un rein pour payer mes impôts ? Tiens, ça coûte combien, un rein, sur le marché de l’occasion ? Ils publient encore des petites annonces, dans Viscères Mag ? Mais surtout, quoi écouter quand… tu reçois ton avis d’imposition ?

    Petit Scarabée, tu vas devoir ne te nourrir que de pâtes pendant quelques semaines (tu sais, celles que tu as amassées pré-confinement…). Au lieu de te suggérer l’écoute d’un incunable, introuvable à un prix de moins de trois chiffres, je te propose de choper non pas l’original, mais la réédition de 2004 (tu comprendras pourquoi) de Face To Face des Kinks. En admettant que tu n’aies pas cette merveille sur tes étagères – et là, je te juge un peu, hésitant à appeler ton centre des impôts pour un petit contrôle – sache qu’on le trouve en occasion partout, à tarif plus que raisonnable, donc tu n’as AUCUNE excuse.

    Sous cette pochette aux airs d’album à colorier psychédélique pour enfant daltonien se cache une merveille. Et, vu ta situation, Petit Scarabée, tu as besoin de poser ta tête sur une épaule compatissante comme celle de Ray Davies, meilleur conteur d’une Angleterre prolétaire et fauchée. Un cracheur de vitriol professionnel et subtil, qui a composé de parfaites vignettes vengeresses sur tous ces personnages qu’il détestait ou méprisait.

    Comme l’héritier tête à claques de “House In The Country” qui a décroché un job “quand son papa bourré est tombé dans l’escalier” et doit raquer un sacré montant en impôts fonciers entre nous. Bien fait pour lui.

    Et on parle du joyeux fêtard qui se ruine en fêtes, filles et bijoux de “Most Exclusive Residence For Sale” ? Alors qu’on sur le point de se dire que cet album aurait dû s’intituler De Connards et d’immobilier, voilà qu’arrive le plus beau portrait de tous, celui du protagoniste de “Sunny Afternoon”, bijou de pop interprété avec une nonchalance qui fleure bon la fin d’après-midi et le rosé-piscine. Cet aristo décadent, n’ayant plus pour compagnie qu’une bière fraîche, serait presque sympathique dans son apathie s’il ne précisait pas que si sa chérie est rentrée chez ses parents, c’est à cause de sa prétendue cruauté mentale…

    Oui, tu l’auras compris, Petit Scarabée, Ray Davies n’a pas des masses de sympathie pour les nantis. Et il a composé cet album pour tous les fauchés, les à découvert le 2 du mois, les qui flippent leur maman devant leur avis d’imposition. Toi, quoi.

    Ahhh, et là, je t’entends me dire, et pourquoi fallait que j’écoute la réédition ? Parce qu’y est inclus en bonus “Dead End Street”, où dans une ambiance de music-hall plutôt joyeuse, Davies et sa bande de Tordus chantent la pauvreté, le fait de vivre et de mourir dans une impasse métaphorique et bien réelle, sans aucune chance de s’en sortir un jour. Entre nous, tu n’en es pas là. D’ailleurs, tu vois, le vilain monsieur des impôts n’a pas encore saisi ta platine et tu peux écouter les Kinks. Merci qui ?


  4. Quoi écouter quand… le trajet paraît particulièrement long ?

    juin 17, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique : Benjamin Peurey

    Tu n’es pas bien, là, Petit Scarabée, calé sous l’aisselle suante d’un géant, pied écrasé par la charrette d’une mère qui nourrit sa famille nombreuse avec cinq kilos de fruits et de légumes par jour chacun, main sous le dos du flippé des microbes qui préfère s’adosser sur des phalanges inconnues plutôt que de tenir la barre du métro ? As-tu pour autant envie d’avoir dans les écouteurs la chanson d’un petit malin te vantant la route 66, le ciel limpide et les grands espaces ? NON. Cela pourrait réveiller en toi des instincts d’émule d’Hannibal Lecter et Charles Manson, en moins bonhomme. Pour éviter ça, je vais répondre à la question qui te hante : Quoi écouter quand… le trajet paraît particulièrement long ?

    Permets-moi, Petit Scarabée usager des transports, de te faire découvrir un groupe du nord de l’Angleterre assez doué pour la mélodie qui gagne à être connu. Ils se nomment les Beatles. Ils sont quatre, ils sont dans le vent à ce qu’on raconte et ont des coupes de cheveux assez cocasses qui t’arracheront un sourire, même en constatant qu’il te reste 38 stations dans cet antichambre de l’Enfer sponsorisé par le Pass Navigo.

    Commençons par un peu de visuel apaisant. Regarde la pochette d’Abbey Road. Elle va devenir ta happy place, lieu où tu réfugier quand tu ne vois pas la lumière au bout du tunnel de métro.  Imagine ta joie si, chaque matin, tu n’avais qu’à traverser un passage clouté pour te rendre au boulot (ou en trouver), entouré de tes trois collègues favoris, y compris ce déconneur de Paulo qui n’a pas mis de godasses pour faire croire qu’il est mort sur la photo ? Oui, ton esprit frétille et ça ne va pas s’arrêter à l’écoute de “Ticket To Ride”.

    J’en entends un dire au fond, ouais, c’est pas parce que la chanson parle de ticket qu’elle a un lien avec British Rail… C’est pas faux. Et je m’en cogne, car l’important ici, c’est cette explosion de guitare 12-cordes Byrdsienne et ces harmonies vocales allègres. Si le tempo ne te donne pas envie de jouer du air-tambourin à la grande joie des passagers de ton wagon, je veux bien écouter en entier une chanson de Maître Pims.

    Mais je sens bien, Petit Scarabée, qu’il te faut de l’évasion. De la bagnole bouffant du bitume… Essaie “Drive My Car”. D’abord tu auras le plaisir d’entendre un Beatle se prendre un vent avec une aspirante actrice qui lui propose d’être son chauffeur. Ça n’arrive pas qu’à toi. Tu veux un peu de place dans ton wagon ? Reprends en chœur avec tes nouveaux potes de Liverpool ce merveilleux refrain à base de  bip-bip bip-bip yeah.

    Il te reste encore 15 stations qui te semblent plus pénibles que celles du chemin de croix, d’autant que Jésus n’était pas entouré d’allergiques au déodorant. Et quoi de plus rafraichissant que “Why Don’t We Do It In The Road ?” Sur fond de mélodie brute et abrasive sur les bords, Paul McCartney se demande en boucle, pourquoi on ne le fait pas sur la route. Dommage, il ne précise pas s’il s’agit de faire des sandwiches (pas pratique) ou les ongles (pas facile non plus).

    Comme il te reste encore un changement, tu as le droit à un bonus, Petit Scarabée. Fais gaffe, en l’écoutant, tu va arracher ton t-shirt ou ton sous-pull acrylique, soudain possédé par l’esprit d’Iggy Pop et le rythme bondissant de son “Passenger”. Certes, il l’a écrite alors qu’il était en tournée avec David Bowie et voyageait dans des conditions meilleures que les tiennes, mais n’es-tu pas un peu reboosté par l’enthousiasme de cet iguane au timbre de velours ? Lui s’en fiche pas mal que le trajet semble interminable. Il chante la-la-la-la-la-la-la-la en regardant par la fenêtre. Et alors que tu baignes dans son énergie communicative, ne loupe pas ton arrêt. Merci qui ?


  5. quoi écouter quand… la technologie rend l’âme ?

    juin 10, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique : Benjamin Peurey

    Il y a des moments dans la vie d’un humain où rage, effroi, impuissance et pensée magique entrent en collision face à une détresse insurmontable. Réflexe ancestral inscrit dans notre code génétique depuis l’époque où nous survivions, vêtus de peaux de bêtes, occupés à dessiner sur les parois des cavernes des blagues sur les T-rex ne pouvant pas se torcher le cul et à alimenter le feu, si précieux lors des barbecues avec la famille Cro-Magnon voisine.

    Il arrivait cependant que cette saloperie de feu de sa race s’éteigne sans raison, au moment où les Magnon d’à côté débarquaient, pack de Cro-Nenbourg sous le bras. Nom d’une couille de mammouth laineux, braillait alors notre ancêtre, conscient que sans feu, impossible de faire des signaux de fumée pour communiquer avec ces incompétents du service clients qui le laisserait deux plombes en attente.

    L’homme des cavernes se prenait alors la tête à deux mains, frappait les cendres à coup de gourdin, grognait quand son voisin demandait s’il avait tenté d’éteindre et de rallumer le feu, puis s’effondrait, prostré, maudissant cette technologie moderne qui lui compliquait la vie…

    Je pourrais m’étendre sur le sujet, n’ayant jamais raté un épisode de la Famille Pierrafeu, mais revenons à l’ère moderne. A ce moment d’horreur où l’iPhone se jette tête la première dans les WC. Où la box ne répond plus. Où l’écran d’ordinateur affiche des messages anxiogènes du style, “Disque dur introuvable. Si, si. Vraiment. J’ai cherché partout”. Et tandis que tu poireautes avec en fond sonore, le message d’attente du service clients, tu as tout le loisir, Petit Scarabée, de te poser des questions philosophiques, telles que, quoi écouter quand… la technologie rend l’âme ?

    Dans ce cas désespéré, il faut du baume pour ton âme à vif. Et quoi de mieux que la fausse lo-fi des barbus de Modesto, plus connus sous le nom de Grandaddy, et de leur album de 2000, The Sophtware Slump ? Les anglophiles auront compris que ce titre qui ne s’écrit pas comme il se postillonne est un jeu de mot entre sophomore et software. (Le sophomore slump, c’est l’expression pour parler du toujours délicat deuxième album où la baisse de forme se fait sentir).

    Dès sa pochette au titre écrit en touches d’ordinateur, on flaire le concept album. Non, Petit Scarabée, ne fuis pas ! Il ne s’agit pas d’une de ces créations fumeuses des seventies, promis. Si la modernité et la technologie ont souvent été synonymes de froideur et d’inhumanité, ici, c’est tout l’inverse. La sensibilité se porte à fleur de peau, les mélodies filent le frisson, la voix de Jason Lytle est fragile et terriblement humaine sur ces symphonies de poche, pop et mélancoliques.

    Et là, Petit Scarabée, je te sens me taper sur l’épaule et pour une fois, je tolère cette familiarité, d’autant que ça fait une heure que tu attends qu’un technicien te réponde. Tu veux savoir quels morceaux vont le plus te parler sur cet album ? “The Crystal Lake”, avec ses boucles de bidouillis de synthés vieillots est un bijou invitant à se barrer loin de tout ça… et se conclut sur un poignant “je me suis à nouveau perdu…” Voilà ce qui arrive lorsqu’on n’a plus de GPS pour s’orienter, me diras-tu…

    Alors au lieu de faire de l’humour à ma place, Petit Scarabée, écoute “Jed The Humanoid”, histoire de robot qui, devenu obsolète, plonge dans la picole et s’y rouille les circuits. Oui, il fait un peu penser à Bender, le robot alcoolo de Futurama, mais en beaucoup plus triste. A côté de ce conte morbide sur l’obsolescence programmée, ta situation n’est pas si pire, non ? D’ici deux petites heures de rien, un technicien prendra ton appel et tu rejoindras le monde des connectés à l’inverse de ce pauvre Jed l’Humanoïde… Ça va déjà mieux, non ? Merci qui ?


  6. Quoi écouter quand… t’as une telle gueule de bois que tu ne reconnais pas le type dans ton miroir ?

    juin 3, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique de Benjamin Peurey

    Le principe de cette rubrique est simple : Benjamin m’envoie un dessin et je dois illustrer à mon tour la situation par un album ou un morceau… Jusqu’ici, tout allait bien.  

    À QUOI TU PENSAIS CE JOUR-LÀ, BEN ? Tu sais bien que des albums sur le fait de boire et déboires, il en existe assez pour faire crouler sous le vinyle des mètres linéaires d’étagères Ikaa. Mais tu me connais… Tel le pit-bull accroché au fessier d’un facteur imprudent, je ne lâche jamais l’affaire.

    Alors petit scarabée, tu es sorti jusqu’à pas d’heure, rentré en zigzaguant et après un quart d’heure à mettre cette saleté de clé dans cette putain de serrure qui fait rien qu’à bouger, tu es allé se coucher tout habillé.

    Ce matin, alors qu’en posant le pied par terre, tu as constaté que les Tambours du Bronx et ceux du Burundi tapaient le bœuf sous ton crâne, tu t’es traîné jusqu’à la salle de bain. Où tu as découvert face à toi le bâtard de Dracula et de Shane McGowan des Pogues en moins frais, teint verdâtre, épiderme suintant, cheveux sentant le cendrier mort. Avant d’adopter le look Daft Punk (le port du casque est déconseillé lorsqu’on en porte déjà un, pointe à l’envers), bois un café ou mâche une capsule, si c’est trop compliqué, et pose-toi les vraies questions. Non, pas “Pourquoi je me suis foutu dans un tel état ?”, mais quoi écouter quand… t’as une telle gueule de bois que tu ne reconnais pas le type dans ton miroir ?

    On commence par l’incarnation de l’alcoolisme mondain, Frank Sinatra himself. “One For My Baby/One More For The Road”, c’est quoi, sinon un superbe pousse au crime, un hymne à la noyade du chagrin dans l’alcool fort ? Sur le même thème, on suggère l’écoute de “Drinking Again” – la thérapie de couple n’existait pas à l’époque ou bien ? Quant à Sinatra avec le Rat Pack, c’est open bar. Cette brochette d’élégants pochtrons ont chanté le fait de boire, tout en buvant sur scène quand ils n’y montaient pas sévèrement imbibés. Sans picole, les aurait-on appelés Les Gars Propres Sur Eux Qui N’ont Pas L’Air de Faire des Miettes (ce qui en jette moins) ? N’empêche que le jour d’après, ils ressemblaient forcément plus à Licence IV (interprètes du douloureux “Viens boire un p’tit coup à la maison”) qu’à une publicité vivante pour le port du tuxedo en toutes circonstances.

    Parler d’alcool et ne pas mentionner Lee Hazlewood serait une faute professionnelle équivalente à oublier Jul d’une étude sur les victimes d’amusie (anomalie cérébrale empêchant de percevoir la musique ou de donner un sens à la mélodie, au rythme, etc.). Ainsi, le fringuant moustachu a raconté l’histoire d’une beauté mystérieuse lui servant du “Summer Wine” pour mieux le dépouiller alors qu’il cuve. Si dans la vraie vie, on a assez peu d’indulgence pour ce comportement, on reconnaît qu’ici, le résultat est plus troublant que ce qu’on a vécu le soir où un salopard nous a fait le coup (Mec, je sais qui tu es. Tu tiens à tes rotules ?). Ce cher Lee a également signé “After Six”, plus belle chanson sur le thème du pilier de bistro qui déballe sa vie miteuse à un barman stoïque. On imagine la scène dans le décor de Nighthawks d’Hopper (plus poétique que le Jackson Pollock du lendemain, exécuté par un moustachu moins fringuant).

    Et comme lever le coude n’a jamais été réservé à la gent masculine, terminons avec la plus choucroutée et tatouée d’entre tous, la bien nommée Amy Winehouse. Si les artistes cités plus haut ont plutôt composé des chansons contribuant à la TTGGDB (ou Très Très Grosse Gueule De Bois), elle a défoncé les charts avec “Rehab” où elle expliquait avec persuasion que non, non, non, elle n’irait pas en désintox. Efficace, oui. Et rétrospectivement poignant. Je lui préfère encore “You Know That I’m No Good” dans la catégorie dégoût de soi post-cuite, chanté avec tant d’âme qu’on en pleure dans son verre en l’écoutant (faites gaffe, ça dilue l’alcool).

    Comme j’ai bien appris à séparer l’artiste de l’homme, uniquement si j’aime son œuvre, je balance en bonus “Man In The Mirror” de Michael Jackson. Ok, ça ne parle pas d’alcool, mais quand il dit, Je commence par l’homme dans le miroir, je lui demande de changer ses habitudes, j’ai toujours envie de brailler, SERMENT D’IVROGNE. On l’a tous juré à l’individu dans le miroir le matin où on ne le reconnaissait pas et on a remis ça le week-end suivant.

    Allez, petit scarabée, dès que les Tambours du Bronx-Burundi auront cessé leur jam, mets un de ces disques et cuve en musique jusqu’à la prochaine… Merci qui ?


  7. Quoi écouter quand… Tu te fais plaquer lâchement

    mai 27, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique de Benjamin Peurey

    Il n’y a pas eu de signes avant-coureurs. Pas de “Il Faut qu’on parle”, équivalent verbal en termes d’angoisse de l’apparition au pied du lit en pleine nuit d’un type cagoulé, armé d’une tronçonneuse et fredonnant du Maître Gims. Tout allait donc bien, jusqu’à ce coup de fil vous apprenant que vous êtes largué, telle la proverbiale vieille chaussette.

    Le cœur en miettes, l’ego piétiné (à ne pas confondre avec le Lego piétiné, également source de grande douleur), le moral dans les chaussettes (larguées, comme vous), vous n’avez plus envie de rien. Sauf de vous rouler en boule en pleurant sur votre sort avant de trouver la force de vous confier à tout ami/copain/vague pote muni d’oreilles et capable de hocher la tête avec conviction quand vous revenez sur la conclusion tragique de votre histoire pour la quinzième fois en deux pintes.

    Avant de recevoir un Boulet de Platine pour votre interprétation marquante du type plaqué, de voir les derniers potes (ceux qui ne sont pas las de hocher la tête avec conviction) apporter des mouchoirs plutôt qu’un pack de bières à l’apéro, posez-vous la bonne question… Quoi écouter quand… tu te fais plaquer lâchement ?

    Une diablesse, bien sûr. Brune à guitare, un combo maléfique. En l’occurrence, Wanda Jackson. Et Heart Trouble, album de 2003 avec une liste d’invités qu’on aimerait à son anniversaire (Elvis Costello, Cramps, Dave Alvin, etc.), des standards du rockab’ dépoussiérés et une poignée de nouveautés pouvant passer pour des classiques perdus en route…

    Précisons d’abord que Wanda Jackson n’a rien à voir avec le Samuel L. homonyme. Ni le clan qui nous a donné la plus fameuse victime de chirurgie inesthétique. Avant d’avoir l’air de cette délicieuse tenancière de maison close de western déguisée en dame respectable sur la pochette de Heart Trouble, Wanda a été une pionnière du rockabilly, jouant de la guitare en talons aiguilles et brushing de Marge Simpson à la tête de son propre groupe à une époque où sa place était plus logiquement à faire les chœurs avant de retourner à la cuisine.

    Dans les années 1960, en tournée avec Elvis – Presley, pas Costello. FAUT SUIVRE – la rockabilly queen aurait succombé aux charmes du king of rock’n’roll. L’a-t-elle plaqué lâchement ? L’histoire ne le précise pas, mais c’est peut-être à la suite de ce chagrin d’amour qu’Elvis a entrepris d’enrober son cœur de graisse pour ne plus se le faire piétiner…

    Et sur Heart Trouble, bien qu’ayant passé l’âge d’être queen de quoi que ce soit contenant le mot rock, si ce n’est rocking-chair, Wanda déménage. Quand elle croise la manche avec une autre diablesse à guitare, rousse cette fois – Poison Ivy des Cramps – sur “Funnel Of Love », c’est une plongée dans la tente de la femme-serpent/pole-danseuse de la fête foraine de Freakstown sous champis hallucinogènes.

    Mais l’écouter chanter les peines de cœur, de cette voix unique, évoquant plus une adorable Muppet qu’une sirène, est immédiatement réconfortant. Surtout sur la chanson-titre, lorsqu’elle raconte à un futur ex (aussi nul que votre ex à vous, c’est sûr) ce qui lui arrivera lorsqu’ils ne seront plus ensemble, par sa faute à lui… Si ce n’est pas un peu jubilatoire, on n’y comprend rien. Allez pleurer ensuite un coup sur sa reprise tout en slide de “Crying Time” avec Elvis – Costello, pas Presley. ON VOUS A DIT DE SUIVRE. Mettez-la sur repeat. A force, vos canaux lacrymaux devraient s’assécher.

    Dans les commentaires, j’en entends déjà chouiner que si je n’avais pas été si snob, j’aurais choisi « It’s A Heartache » de Bonnie Tyler. J’aurais pu. Comme préférer les claquettes-chaussettes aux Converse. Et si l’espace d’un instant, l’idée m’a effleuré, Google a aussitôt fait remonter à ma mémoire cette reprise de 2003 (rebaptisée “Si tout s’arrête” et oui, fallait arrêter mais avant d’enregistrer) avec une certaine Kareen Antonn dont j’avais oublié l’existence…

    Alors si le réconfort n’est pas venu de Wanda Jackson, qui sait… ce duo au kitsch avoisinant celui d’une assiette baromètre décorative vendue au Bazar de la Poste en bord de mer pourra vous redonner le sourire. Merci qui ?


  8. Pas d’oubli ! Ni de pardon !

    mai 25, 2020 by Isabelle Chelley

    Plutôt que d’accompagner mes posts de photos moches prises par mes soins, j’ai demandé une illustration à Klouk (une de mes nièces, Tintinophile de son état). Merci Klouk. Le capitaine Kappock va A-DO-RER !

    Attention, aujourd’hui, je n’ai peur de rien, je balance, je polémique, j’accuse.

    Au début du confinement, alors que je tentais de faire taire la petite voix hystérique qui couinait en permanence “Comment tu vas survivre sans apéros avec les amis, sans disquaires, sans rattrapage de tes racines chez le coiffeur ?”, j’ai choisi d’occuper chaque instant de la journée. Et quand je ne bossais pas ou ne gérais pas deux Gremlins plus communément appelés chihuahuas, j’ai commis une erreur fatale pour mon équilibre mental. Je suis allée jeter un œil aux vidéos d’artistes confinés…

    Résultat des courses ? A de rares exceptions, un désastre à l’égal de la situation du pays à la sortie de ce long tunnel de putain de train fantôme de l’apocalypse… Je ne mentionne pas les noms des coupables. Ils seraient trop contents de faire le buzz. Mais vous les reconnaîtrez sans doute ci-dessous.

    Le chanteur trop sympa : Dix minutes après le début du confinement, il décide de mettre en téléchargement gratuit tout son catalogue. Et ses inédits, ses vidéos de concerts, ses vieilles interviews. Dans deux jours, à court de matos frais, il va nous balancer la VHS du mariage de ses parents, des scans des dessins de ses neveux et la photo d’identité de sa carte d’étudiant. C’est gentil de sa part, hein. Vraiment. Dommage qu’il n’ait jamais fait un bon disque de sa vie.

    L’artiste vachement arty : Déjà, ne l’appelez pas chanteuse (même si elle chante). C’est une artiste multi-médias conceptuelle. On ne sait pas trop ce que ça veut dire, mais ça en jette (je regrette d’avoir ri quand une gosse de 5 ans m’a dit qu’elle voulait être maîtresse d’école-cosmonaute maintenant). Mais bref, l’AVA se lance dans un happening confiné dans le couloir de son appartement. Dès qu’elle apparaît, on se demande ce qu’elle porte. Une sorte d’hybride entre combi de plongée, toge et marinière, avec des babouches ? Et quand elle attaque son étrange chorégraphie, on flippe. Est-elle atteinte du virus ? D’un parasite intestinal conceptuel et rare ? On se souvient alors qu’elle est toujours comme ça. Pas un hasard si après sa vidéo, YouTube nous en propose une d’Arielle Dombasle vocalisant pour faire fuir le virus…

    L’artiste qui gère pas trop : Mais pas trop du tout. Dès sa première vidéo, le malaise est palpable. Il est là, dans sa cuisine en bordel, arborant t-shirt douteux et barbe de trois jours. Et clairement, son peigne a été confiné loin de chez lui. Quand il ouvre la bouche, c’est pire. Il a la diction pâteuse et pédale dans la semoule en reprenant son tube dont tout le monde connaît les paroles. Il tente à la fin une blagounette pas drôle qui lui vaudra des injures sur Twitter de la part de ceux qui l’ont interprétée comme pangolinophobe. Pendant une semaine, le malaise se poursuit, ce qui permet de confirmer qu’il ne change pas de t-shirt. Puis il finit par disparaître. On se demande alors si Renaud l’a kidnappé en le prenant pour un pruneau à l’eau-de-vie…

    L’artiste qui gère pas trop, mais c’est pas sa faute : Enfin, quand même un peu… Sérieusement, qui se confine avec cette famille infernale et une ménagerie ? Où qu’il se pose chez lui, il est dans le passage et on le lui fait sentir. Sa femme fait un solo de moulin à café électrique dans son dos alors qu’il joue une ballade à la gratte acoustique. Ses gosses courent autour de lui en braillant. Un chien interprète La chanson de son peuple pour l’accompagner. En fond sonore, on distingue un chat grattant furieusement dans sa litière. Quand il s’exile dans le jardin dans l’espoir vain d’être au calme, son voisin dégaine la tondeuse à gazon. Au final, peu importe qu’il arrive au bout d’un morceau : on partage ses vidéos pour leur côté Vidéo Gag rétro très appréciée en ces temps de repli sur un passé plus simple…

    La superstar donneuse de leçon : Pas folle, elle ne se risque pas à une reprise d’Imagine au ukulélé. Elle sait que sans son équipe de requins de studio, elle ne vaut pas une cacahuète. Mais ce n’est pas pour autant qu’elle va rater une occasion de faire parler d’elle. Arborant une tenue décontractée – elle a sa marque de sportwear, où le moindre t-shirt coûte la moitié d’un loyer parisien – pas maquillée/coiffée (elle précise sur Instagram que c’est pour reposer sa peau et ses cheveux. Traduire par : j’ai du personnel pour gérer ça en général…), elle se pose sur un canapé géant blanc immaculé pour inviter ses fans à rester chez eux. A ne sortir sous AUCUN prétexte, pas même faire ses courses. La tentation est alors grande de fracasser l’iPhone en hurlant “FACILE À DIRE ! T’AS DES LAQUAIS QUI T’ACHÈTENT TON PQ ! ET TA TABLE BASSE FAIT LA TAILLE DE MON SALON !” Quand des hordes de fans auront cette réaction sur son compte Instagram, elle supprimera la vidéo, puis postera des excuses larmoyantes, car vraiment, elle ne comprend pas ce déferlement de haine. Avec derrière elle, la vue imprenable sur sa piscine…

    L’opportuniste : On le pensait confiné depuis 10 ans et il ne nous manquait pas. Mais il adore qu’on parle de lui, même si on se moque (tant mieux, VRAIMENT). Ses tentatives de comeback maudites ressemblent à des appels à figurer dans des bêtisiers de fin d’année : dérapage tragique d’un mocassin à Danse avec les Has-Been, diarrhée en Papouasie lors de son passage à Casse-couilles en terre inconnue, échec cuisant de son autobiographie Si, si, je vous assure, je reviendrais par la fenêtre, voiture cramée par des Gilets Jaunes lorsqu’il a voulu leur écrire un hymne… Le confinement est pour lui une opportunité de se réinventer. Et il le fait savoir en postant son manifeste pour “La Vie D’après”, écrit dans un mélange de novlangue de marketeux et de philosophe tendance Bisounours sous acide. Puis en annonçant qu’il a composé une chanson dont les bénéfices seront reversés aux soignants. Composer est un bien grand mot. Il a repris un de ses vieux morceaux, a bricolé des paroles sur “ces héros en blouse et masque”, “la guerre contre un ennemi invisible” et “la victoire qu’on ne remportera qu’ensemble, forts et solidaires”. On a envie de le remercier. On n’avait jamais vomi de rire jusqu’à présent.


  9. Quoi écouter quand… ton frigo est vide et les commerces, fermés

    mai 20, 2020 by Isabelle Chelley

    Illustration et idée de rubrique de Benjamin Peurey

    L’humain, petite créature fragile perdue dans un monde hostile, affronte plus d’un péril au cours de sa fugace existence – pieds de meubles se jetant sur ses orteils, fête de la musique, réchauffement climatique. Pire encore, sa survie ne tient plus qu’à un fil lorsqu’il constate, rongé par la faim, que son frigo est cruellement vide. Et qu’il est minuit du soir… Il est alors tenté d’envisager l’auto-cannibalisme (idéal pour le célibataire peu douillet), le sacrifice du petit dernier (s’il est très jeune et encore très moelleux) ou de l’animal de compagnie. Voire de s’attaquer aux plantes vertes pour les végétariens.

    Mais l’humain, créature capable d’apprécier l’art, pourra aussi se demander, quoi écouter quand… le frigo est vide et que les magasins fermés… Il choisira alors, d’une main tremblante, hypoglycémie oblige, Poultry In Motion (2000), compilation d’Hasil Adkins consacrée au poulet.

    Hasil qui ? Alcoolique sévère, obsédé sexuel, autodidacte à guitare, buveur de café au litre, Adkins existe en marge de l’histoire du rock’n’roll, personnage déjanté à côté duquel ce bon Jerry Lee passerait presque pour pantouflard.

    Si vous êtes fan des Cramps, vous connaissez un de ses morceaux, le frénétique et secoué “She Said”. Et c’est ça, le style Adkins. Des morceaux chaotiques, hoquetants, à la croisée du rock’n’roll et de la country, baignant dans une esthétique férocement DIY. Un de ses albums indique même sur sa pochette que “la qualité sonore de certains morceaux peut varier selon ses niveaux d’ivresse”…

    Mais que trouve-t-on dans ce best-of volailler, qu’on n’ose à peine surnommer Nuggets 4 ? Du très brut de décoffrage avec de la friture sur la ligne. Du blues cabossé, du rock’n’roll bourré de spasmes. Des morceaux brefs et nerveux, parfois surréalistes comme de l’outsider art sonore. Des imitations de poulet de l’hyper-espace (Les fans d’Arrested Development se souviennent de cette scène magique où la famille Bluth se met à imiter des poulets sans doute coachée par Hasil Adkins. C’est le maître du bruit de poulet foireux. Un titre que je ne décerne pas en vain).

    Evidemment, l’humain affamé écoutera en boucle “Cookin’ Chicken”, se souvenant de l’époque bienheureuse où lui aussi pouvait cuisiner et s’endormira, l’estomac creux, certes, mais les rêves hantés par des images de poulets géants jouant de la guitare…

    Et les végétariens, véganes et volaillophobes ? Ils traînent leur carcasse affaiblie jusqu’à la lettre B de la discothèque et prennent Smiley Smile pour écouter ce magnifique hymne aux légumes qu’est “Vegetables”. Du pur Beach Boys avec harmonies vocales, rythme catchy et message de Brian Wilson, qui voulait encourager ses compatriotes à croquer des carottes… La légende veut que les cronch-cronch enthousiastes qu’on entend çà et là sont l’œuvre de Paul McCartney. Et si ce n’est pas 100% vérifiable, je veux y croire. Ne serait-ce que pour imaginer la scène.

    “Allo, Paulo, c’est Brian Beach Boy. Tu fais quoi aujourd’hui ? Ça te dirait de croquer des carottes en studio ?”

    “Je ne veux pas faire ma diva, mais je suis plutôt dans une période céleri… Ça t’ira ?”

    Impossible de vérifier si cet hypothétique céleri était bio. Si Macca l’a apporté, comme n’importe quel musicien venant en studio avec son instrument fétiche. Si un roadie l’a découpé et lavé pour lui… Et pendant qu’à votre tour, vous serez hantés par ces angoisses légumières, vous ne penserez plus aux tourments de votre estomac vide. Merci qui ?


  10. Quoi écouter quand… rien à faire, t’arrives pas à dormir

    mai 13, 2020 by Isabelle Chelley

    Cette nouvelle rubrique du blog remis en état est issu d’un intense brainstorming avec Benjamin Peurey. C’est lui qui se charge des illustrations et qui a eu l’idée de ce ping-pong : il dessine une situation, à moi de trouver l’album pour lui répondre. Dans la vraie vie, ce maniaque des disques est aussi auteur d’excellents recueils de nouvelles et parolier à ses heures. Oui, il est un peu agaçant.

    Que faire quand même le fait de compter les mauvaises reprises de “Hallelujah” n’aide pas à trouver le sommeil ? Ecouter un disque, bien sûr, c’est même suggéré dans le titre de cette rubrique. Oui, mais pas n’importe lequel.

    A 3h39 du matin, la tentation serait grande de se ruer sur une anthologie du death metal, histoire que PERSONNE ne dorme dans le quartier. Ou de transformer sa chambre en Studio 54 (ou Piaule 6m2, selon sa superficie) en mettant une bonne vieille compilation de disco, dans le vain espoir qu’imiter la choré des Bee Gees dans le clip de “Staying Alive” finira par avoir raison de nos forces…

    Tout cela serait trop facile. Alors… Quoi écouter quand, rien à faire, pas possible de fermer l’œil ? C’est le moment idéal pour piocher “Sleepless Nights” de Gram Parsons dans sa discothèque.

    Pour les cancres du fond qui disent “Gram qui ?”, présentation express du monsieur. Ce fils de bonne famille (et d’alcooliques notoires) se prend de passion pour la country lorsqu’il est à l’université et devient guitariste rythmique des Byrds au moment de “Sweetheart Of The Rodeo” puis fonde les Flying Burrito Brothers, groupe de country rock au succès critique inversement proportionnel à ses ventes d’albums.

    Signes particuliers : il raffolait des poudres illégales qu’on s’injecte ou qu’on inhale et des costumes de Nudie’s, grand faiseur de tenues à sequins capables de transformer n’importe quel chanteur de country lambda en boule à facettes vivante (Non, tu poses cette compil’ de disco !) Et si sa vie a été relativement brève – il n’atteint même pas les 27 ans fatidiques et clichés – sa mort donne des idées à ses amis qui décident d’organiser une petite crémation party dans le désert de Joshua Tree et pour ce faire, volent son cercueil… Avec lui, mort, dedans. On savait s’amuser dans les seventies.

    Fin de la parenthèse. Revenons à “Sleepless Nights”. On ne va pas se mentir. A la première écoute, on le classerait volontiers dans la catégorie des disques agréablement chiants – un peu mou par moments, mais assez gracieux pour ne jamais tomber des oreilles. A l’origine, il s’agit plus d’une sorte de créature de Frankenstein sur disque, assemblé à partir des dernières séances en studio de Parsons avec les Flying Burrito Brothers et d’autres avec Emmylou Harris, deux mois avant sa mort, pour son dernier album solo. Leurs trois duos sont parfaits. La chanson “Sleepless Nights” fait même vibrer mon petit cœur de pierre, avec ses paroles qui en vont un tantinet trop loin dans le registre larmoyant – mais c’est ça aussi la beauté de la country. (Il n’y a que là qu’on supplie Jolene de ne pas nous piquer notre mec au lieu d’aller lui péter les dents, non mais).

    En revanche, il peut arriver que les Flying Burrito Brothers évoquent la spécialité tex-mex un peu lourdingue contenue dans leur nom. Leur reprise de “Honky Tonk Women” se traine tellement qu’on en arrive à se demander si elle ne dure pas bien plus que les quatre minutes et des poussières affichées au compteur. Et là, même après l’absorption massive de cafés ristretto, des soucis de digestion, des angoisses existentielles, un concert de marteau piqueur et une nuée de moustiques s’étant invités dans la chambre, il y a toutes les chances qu’on sombre dans le sommeil du juste…  Merci qui ?