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  1. Last night a DJ…

    mai 6, 2014 by Isabelle Chelley

    dj kitty3

    Ceux qui me connaissent dans la vraie vie savent que je suis non-violente. Opposée à la peine de mort. Anti-fourrure, corrida et élevage industriel. Végétarienne. Je suis râleuse, négative, froide, névrosée, oui. Violente non, tant qu’on me fiche la paix. N’empêche qu’hier, j’ai failli tuer un DJ. Quoi qu’en disent ceux qui ont subi les éléments les moins glorieux de la profession lors de mariages et autres réjouissances, tuer un DJ, même le plus mauvais de tous, est un crime. Il serait même passible de prison. Heureusement que je ne sors jamais avec une machette au fond de mon sac. À cette heure, je devrais expliquer à Good Cop et Bad Cop que la victime a réveillé en moi un souvenir pénible.

    Revenons sur les faits. Hier, je suis allée voir Damon Albarn à l’Alhambra. En prenant soin de ne pas arriver trop tôt, puisque le billet avertissait d’un DJ set de Rémi Kabaka. Ok, le gars a déjà travaillé avec Damon Albarn. C’était lui, Russell, le batteur balèse de Gorillaz, le meilleur groupe virtuel de tous les temps. Mais derrière des platines, l’individu le plus talentueux qui soit peut se muer en atroce pète-rouleaux.

    A peine installée dans la mezzanine, j’ai senti que Rémi et moi n’allions pas être potes. Loin de sa batterie, ce garçon est dangereux. Il aime les gros beats. Répétitifs. Lancinants. Les bidouillages abstraits qui provoquent un triple orgasme chez ses confrères DJ, mais qui me laisse, moi, bête amoureuse de mélodies, indifférente, agacée, puis enragée. Je n’ai rien contre les DJ, j’en connais de très bien, je vous assure. Je n’ai rien non plus contre la musique électronique. Mon cerveau n’a juste pas été programmé pour apprécier des beats en boucles et des samples sans queue ni tête.

    Me voilà donc condamnée à subir ce tortionnaire des platines. Si je me lève, comme je ne suis pas accompagnée, on va me piquer ma place, c’est sûr, j’en vois déjà qui louchent dessus. Comme il n’y a pas de réseau, je ne peux pas m’épancher sur les réseaux sociaux (faisant habilement savoir que tralala, je vais voir Damon Albarn après, lalalalère !). Je réalise que je n’ai pas installé Candy Crush ou n’importe quel autre match 3 addictif sur mon nouvel iPhone (oui, j’ai parfois de gros soucis de bobo-enfant-gâtée). Je regarde l’heure. Cinq minutes se sont écoulées depuis que j’ai posé mon séant sur ce fauteuil. Je fouille dans mon sac. Rien qui ne puisse me permettre d’abréger le supplice. Pas même une pince à épiler que je pourrais brandir en hurlant : “Rémi, lâche ces platines, sinon je te bousille sévèrement le sourcil droit !”

    Soudain, violent choc intérieur. C’est le retour du refoulé. Je me revois, il y a quelques années aux Nuits Sonores à Lyon, missionnée par un quotidien pour lequel j’écrivais. Je devais passer la nuit dans une usine désaffectée où Jeff Mills et quelques autres mixaient. J’y étais allée avec l’enthousiasme de Dora l’exploratrice partant à l’aventure, décidée à vivre ça comme une expérience que je ne referais jamais. Effectivement. Un pied dans l’usine et j’ai eu le sentiment d’être dans un enfer taillé sur mesure pour moi. La poussière, accumulée depuis un quart de siècle au minimum, m’a attaquée, me condamnant à ne plus quitter mes Wayfarer, sous peine d’exhiber des yeux de grenouille albinos. Les WC débordaient, à moins que le raveur moyen ne se soulage en dansant. Et surtout, le bar ne servait pas d’alcool. Sous le prétexte douteux que le raveur préfère les energy drinks pour tenir toute la nuit. J’ai bu des choses étranges au cours de ma vie, y compris du vinaigre blanc et du produit vaisselle (pas volontairement, je précise), mais rien de pire qu’un Pepsi Black, mélange de Pepsi et de café, sentant la chaussette humide.

    Évidemment, cette scène apocalyptique était baignée de pulsations sonores faisant vibrer le sol et de strobes à tuer une colonie d’épileptiques. Cette nuit-là, j’ai eu envie de tuer des DJ. D’autant qu’eux, ces pignoufs, avaient l’air de s’éclater comme des petits fous, affichant la mine ravie du clebs venant de se branler sur ta jambe quand ils relevaient le museau de leur console. Le temps semblait ne pas s’écouler. J’avais soif, j’étais cernée d’une nuée de zombies puant la sueur et le faux Red Bull. Lorsque la première navette vers le centre ville est arrivée, j’ai bondi dedans, préférant poireauter une heure dans une gare déserte plutôt que de moisir dans cet enfer. De retour à Paris, j’ai juré de ne plus jamais, jamais, jamais m’y laisser reprendre. Et j’ai enfoui ce souvenir dans ma mémoire. Jusqu’à hier.

    Non, tu n’es pas revenue à Lyon, me disais-je. Bientôt, le méchant monsieur va lâcher ses platines et le gentil Damon va venir. La vision de Marianne Faithfull, se glissant à sa place, deux rangs devant moi, m’a tirée du cauchemar. J’étais bien à Paris. Que foutrait la divine Marianne à une rave, hein ? J’ai entendu des applaudissements saluant la fin du set de mon némésis. Était-ce du soulagement ? De la politesse ? M’en fous. Dix minutes plus tard, Damon Albarn est arrivé. Et au bout d’une 1h45 de concert, si on m’avait proposé de le revoir le lendemain, à condition de me beurrer à nouveau DJ Casse-Bonbecs, j’aurais dit oui.

    En apportant un flingue ou un piège à ours, quand même, au cas où…


  2. Plus jamais ça…

    février 21, 2014 by Isabelle Chelley

    L’album de reprises, cet exercice délicat et casse-gueule, réservé à quelques élus seulement…

    Je n’ai pas pris de bonnes résolutions pour 2014. Enfin, si, mais vous vous en tamponnez le coquillard de savoir que je compte dominer le monde, me mettre au krav maga, passer moins de six heures par jour sur l’iPad et ne plus angoisser parce que les boîtes d’herbes surgelées ne sont pas alignées comme il faut dans le congélateur.

    En revanche, s’il y en a bien une qui pourrait prendre quelques bonnes résolutions, oui même en février, c’est la musique (et comme elle n’a pas de congélateur, elle doit moins flipper sur son rangement). Parce que malgré mon amour pour elle, elle fait un peu n’importe quoi. Elle s’autosaborde en permanence, comme la copine au régime qui alterne frites et carottes râpées. Il faut dire que l’industrie du disque, les musiciens, le public et les médias ne font rien pour qu’elle aille mieux non plus. Mais ce serait tellement fabuleux si en 2014, on éradiquait quelques sales habitudes…

    En 2014, merci d’en finir avec les albums de reprises. C’est sûr qu’il est plus simple de piocher dans le patrimoine que de secouer sa muse pour pondre une malheureuse chanson. Mais a-t-on besoin d’une énième version d’Hallelujah, pompée sur celle du pire nageur de l’histoire du rock ? Ou de classiques de la soul, aseptisés par le trio infernal Vigon Bamy Jay ? Non, même pas pour se servir du CD comme d’un sous-bock (j’en ai de très beaux EN FORME DE VINYLES, alors bon, un CD…). À de très rares exceptions (Johnny Cash, Marianne Faithfull, les Muppets), l’album de reprises dit “j’avais pas d’inspiration, alors je suis allé sur iTunes voir les titres que j’écoutais le plus et j’ai voulu me les réapproprier”. Non, tu ne te les réappropries pas. Au mieux, tu as l’air d’un chanteur de karaoké. Au pire, les fans de l’auteur-compositeur des chansons saccagées se servent de ta photo pour jouer aux fléchettes enflammées.

    En 2014, ce serait merveilleux d’arrêter de jouer aux moutons de cover, bêlant tous au moment des rappels des versions de, au choix, selon les millésimes, Toxic (Britney Spears), Seven Nation Army (White Stripes), Crazy (Gnarls Barkley), Get Lucky (Daft Punk)… C’était sympa une fois. Voire trois, parce que je ne suis qu’indulgence. Mais à présent, merci de trouver mieux pour exciter ma personne blasée. Faites un lip dub sur Gangnam Style qui dégénère en Harlem Shake. Le tout en version flash-mob, à la guitare acoustique, coiffé du chapeau de Pharell Williams. Ou pas.

    En 2014, ayez l’amabilité de ne plus jamais commettre ce crime atroce contre le bon goût qui clame à la fois “je suis un gros égomaniaque qui s’adore” et “j’avais pas d’inspiration alors je suis allé sur mon iTunes et j’ai vu que je n’écoutais QUE MES morceaux”. Oui, j’ai nommé la reprise de sa propre chanson. Je distribue des points supplémentaires dans l’ignominie s’il s’agit d’une version reggae, d’un duo avec la star du moment afin de baigner dans sa lumière et sa sueur, ou d’une revisite collant à la tendance putassière du moment. Reprendre ses propres chansons, c’est aussi glorieux que de coucher avec son ex en bouffant le vieux morceau de pizza coincé sous les coussins du canapé. (l’auteur de la métaphore ex/pizza se reconnaîtra).

    En 2014, les majors pourraient-elles ne plus nous prendre pour des têtards détenteurs d’une planche à billets ? Depuis qu’elles ont constaté que subsiste une tranche de la population achetant du vinyle, elles en ressortent. Au prix du caviar. Parce que, hein, c’est cher, le vinyle, nous dit-on, avec la même morgue que le brocanteur opportuniste du vide-grenier qui tente de nous fourguer ses nanards sentant le moisi. Ah mais comment expliquer les petits prix des petits labels ? Je relève les copies dans deux heures.

    En 2014, les majors, tant qu’elles y seront, devraient mettre fin à leur sale manie de sortir un album et, trois mois plus tard, de le ressortir avec des bonus. En marketing, cette pratique s’appelle l’enculage de fans à sec en leur faisant payer la poignée de gravillons. Ne vous étonnez pas qu’on télécharge les bonus, les gars. Illégalement. En chantant, promenons-nous dans les bois, puisqu’Hadopi n’y est pas.

    En 2014, je souhaiterai enfin que la peine de mort (par immersion dans un chaudron d’huile bouillante ou écartèlement) soit rétablie pour les auteurs de duos virtuels avec des chanteurs défunts. Alors, comme ça, blanc-bec, tu veux faire un duo avec une légende ayant rejoint le pays des têtes en os ? De son vivant, si tu avais quémandé un duo en rampant sur du verre pilé, la Légende t’aurait pouffé au nez avant de lâcher ses gardes du corps à tes trousses. Mais la Légende est morte, ses héritiers exploitent son cadavre et t’accordent, vil pilleur de sarcophages, le droit de faire ce duo vomitif, assorti d’un clip en images d’archives, inspirant comme une pub pour une assurance vie. Toute personne souhaitant à ce point chanter avec un mort ne mérite qu’une chose : qu’on l’envoie vite ad patres. En prenant soin de bien insonoriser le cercueil, au cas où.


  3. This is not a love song…

    février 14, 2014 by Isabelle Chelley

    milk

     

    Ce soir, alors que vous boirez du champagne rosé pour faire passer les huîtres au gingembre ou que, célibataire, vous avalerez une pizza huit fromages à l’ail (tant qu’à n’avoir personne à embrasser, autant y aller avec panache), je serai à un concert. Pas parce que je suis une militante anti St. Valentin. Toute occasion de boire du champagne étant bonne à prendre, il m’arrive de célébrer la fête des amoureux et d’afficher, après deux verres, un air vaguement plus réjoui que Grumpy Cat au réveil un lundi pluvieux. C’est juste que ce soir, il y a Courtney Barnett au Divan du Monde et qu’elle est mon crush du moment.

    N’écoutant que mon altruisme naturel, j’ai pensé à ceux qui tenteront de digérer leur pizza, pris de nausées en zappant entre les 25 comédies romantiques astucieusement programmées à la télé le 14 février. Et si je leur faisais une petite playlist de mes chansons d’amour préférées de tous les temps de l’univers, hein ?

    J’entends déjà le chœur des « oh mais, euh, elle est nulle, ta playlist, il n’y a pas de ballades dessus ». Ben oui, il n’y en a pas. Les jolies ballades avec des paroles sucrées à rendre diabétique le nounours Haribo copulant avec mon Petit Poney dans le repère de la Licorne Pailletée me font perdre la patience que je n’ai pas.

    Mes chansons d’amour préférées appartiennent au registre du tordu, compliqué, ambigu, elles sont truffées d’obsessions, de tensions, de jalousies, sinon ce ne serait pas drôle (dans le lot, il y a des classiques et quelques kitscheries, aussi. Une playlist n’est honnête que si elle contient des inavouables de fond d’iPod). Oui, même que j’ai aussi choisi des chansons de pas d’amour du tout, mais qui en parlent très bien quand même. Love Will Tear Us Apart ou Suspicious Minds, ça en dit autrement plus sur le couple que Barry White haletant que je suis la prems, la dernière et son tout. Attention, il n’y a pas que des ruptures, il y a aussi des histoires d’obsession qui flirtent avec le restraining order et la camisole chimique, comme Superstar ou Eloise. Ou les vrais drames, tant qu’on y est. New York Mining Disaster 1941, son mineur coincé sous terre qui montre une photo de sa femme en attendant d’éventuels secours, ça me fout vraiment le frisson.

    Quant à Jackson, c’est sans doute la chanson de chamaillerie avant la réconciliation dos collé à la porte de la grange la plus chaude que je connaisse. Et I Can’t Decide est un pur plaisir narcissique. J’ai forcément servi d’inspiration aux Scissor Sisters pour le portrait de ce cauchemar sur pattes qui donne des envies meurtrières au chanteur. Ou alors, si ce n’est moi, c’est mon jumeau caché.

    Toutes ces chansons-là en tout cas, ont un point commun : elles évoquent des scénarios et des images, mettent l’imagination en branle et me titillent la région de l’émotion, oui, la petite sous-développée, là-bas, écrasée par les régions névroses, contrôle, obsessions, peurs irrationnelles et passion douteuse pour les mascottes. Et comme le cerveau est une zone érogène, je… Enfin voilà, voilà… Non, merci, je n’aurais pas besoin de gingembre.


  4. Concert 1993 vs. concert 2013

    octobre 4, 2013 by Isabelle Chelley

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    À chaque fois que tu dis « c’était mieux avant », petit Jedi, sache que soudain, tu ressembles à Statler et/ou Walforf, plus communément appelés « vieux des Muppets ».

    Je prends quelques risques avec ce titre laissant entendre que j’étais en âge d’aller à des concerts de rock en 1993… Précisons d’emblée que j’étais également à peine sortie de l’enfance à l’époque et que je portais beaucoup moins d’anti-cernes. Quoique.

    À force d’entendre répéter que c’était mieux avant, j’ai voulu, dans une démarche strictement scientifique, vérifier cette affirmation souvent lancée lors d’une bouffée collective de nostalgie frôlant le vieuconnisme aigu. Commençons par faire un effort de mémoire ou d’imagination. En 1993, internet n’existait pas en France. Nous errions dans un immense vide culturel, sans vidéos de chatons, sans réseaux sociaux et trolls à mépriser, sans smartphone (ma main gauche à laquelle l’iPhone est greffé, n’en croit pas ses oreilles, ce qui est étrange pour une main). Nous survivions à peu près l’âge des cavernes avec moins de peaux de bêtes et de dinosaures…

    Apprendre que son groupe préféré vient jouer
    1993 : Pour ne rien louper, il fallait acheter la presse rock. Et déchiffrer les listings de concerts écrits en tout petit à la fin. Ou guetter les affiches dans le métro parisien. Ou s’aventurer à la FNAC pour repérer les concerts annoncés.
    2013 : Entre les sites de billetteries, les newsletters, les blogs musicaux et les réseaux sociaux, impossible de louper un concert. Pire, il faut jouer souvent à pile ou face, parce que les organisateurs s’arrangent dans notre dos pour toujours programmer trois bons concerts le même soir. Je ne suis pas parano, mais ce n’est pas ma faute s’ils se concertent en douce, rien que pour me contrarier.

    Acheter son billet
    1993 : A part se déplacer, faire la queue à la Fnac/Virgin/l’espace culturel de Carrouf ou autre, en espérant très très fort que les places pour le concert d’un boys band n’avaient pas été mises en vente le matin-même, il n’y avait pas moyen d’acheter un billet facilement. Sauf, peut-être, en étant membre du fan-club. Il fallait alors envoyer son chèque et brûler des cierges à la divinité postière dans l’espoir que le précieux courrier ne se perde pas en route et arrive avant la date du concert.
    2013 : Acheter son billet en ligne et le recevoir sur son smartphone, c’est à la portée de n’importe qui. Même d’un chat, sans doute. Utilisez cette excuse la prochaine fois que vous aurez envie d’assister à un concert nuisant gravement à votre crédibilité rock. Sans être parano, on sait que le chat est naturellement mauvais et n’aime rien tant que de vous faire passer pour un glandu.

    Retrouver ses potes au concert
    1993 : La méthode dite du « yooooohoooo, je suis là » était assez efficace, sauf quand une moitié de la salle/de la file d’attente se mettait à en l’adopter. Ce qu’elle faisait. Je ne suis pas parano, ce n’est juste pas ma faute si les files d’attente cherchaient à me nuire à l’époque en m’isolant de mes amis.
    2013 : La méthode dite du SMS « Téou? » est assez efficace, sauf quand une moitié de la file d’attente se met à en faire autant et ralentit le réseau dont la couverture est inexistante dans la salle, sauf près de la porte des wawas. Bon, avec un peu de chance, nos potes sont eux aussi en pleine réunion au sommet devant la porte des wawas à tenter de nous envoyer le SMS « Téou? »

    Assister à la première partie bof-bof du concert
    1993 : L’option bar était souvent la solution, au risque de se retrouver bloqué au fond de la salle derrière un poteau quand le concert suivant commençait, tout ça parce qu’à force de boire, on avait envie d’aller aux wawas. Comme la moitié du public. Sans être parano, vraiment, j’ai été plus d’une fois victime de la conspiration des mini-vessies maléfiques.
    2013 : S’il y a un peu de couverture réseau, c’est le moment de prendre des photos floues et sous-exposées à poster sur les réseaux sociaux, surtout si l’on assiste à un concert complet dont les billets se sont arrachés en deux heures. Sans réseau, profitons de ce merveilleux outil plein de ressources qu’est le smartphone et passons au niveau supérieur de Candy Crush.

    Immortaliser le concert
    1993 : On a tous eu un pote un peu foufou qui défiait l’interdiction et introduisait clandestinement un appareil photo dans la salle. En le planquant parfois dans des endroits abrités du soleil, mettant en danger ses attributs virils tout ça pour l’amour du rock (et des photos floues, mal cadrées et sous-exposées). Il arrivait aussi que le pote foufou nous demande de planquer son appareil dans notre soutien-gorge « parce que c’est plus discret, ça passera tout seul ». J’ai encore le souvenir cuisant des regards suspicieux et appuyés des videurs trouvant étrange que j’ai un sein rectangulaire. Et ce, sans être parano du tout.
    2013 : On a tous ou presque un smartphone. Et même en étant moins doué pour les arts photographiques que Stevie Wonder, il serait inconvenant de ne pas s’en servir au moins une fois pendant le concert, ne serait-ce que pour saisir cette magnifique marée de smartphones brandis à bout de bras, tels des oriflammes sur le champ de bataille du décibel. Il est aussi fortement recommandé d’immortaliser à la dérobée le pignouf qui filme avec sa tablette et nous bouche la vue, afin de se livrer à du pignouf-shaming sur les réseaux sociaux.

    Ah oui, au fait… Assister au concert
    En 1993 comme en 2013, ça n’a pas changé. On hurle, on applaudit, on braille nos morceaux préférés en chœur, on réclame un rappel prévu au programme de toute façon. La seule différence, c’est qu’en 2013, on risque de se retrouver sur YouTube en train de faire le pois sauteur hystérique ou de jouer un inoubliable solo d’air clavier… Je ne suis pas parano, mais I’ve got parfois the feeling that somebody’s watching me. Et même filming me…


  5. Merde, pas Gilles Verlant…

    septembre 21, 2013 by Isabelle Chelley

    Merde, pas Gilles Verlant… c’est tout ce que j’ai pu dire hier en apprenant la sale nouvelle. Je laisse les belles phrases aux autres, à ceux qui sont plus étroitement connectés à leurs émotions que moi.
    N’empêche que cette mort m’a foutu un vrai coup. Parce que, comme la plupart des morts, elle est conne et injuste. Qu’elle survient dans son cas beaucoup trop tôt. Et qu’en prime, pas moyen de négocier, d’échanger un wagon de sales cons détestables contre un mec bien, intelligent, cultivé, érudit et excellent passeur…

    Je n’étais pas une amie de Gilles Verlant, on n’a jamais travaillé ensemble, mais c’est sans doute un peu grâce à lui que j’ai choisi ma voie. Enfin, grâce à un de ses livres, une petite biographie de David Bowie, achetée à l’adolescence juste après qu’on m’ait offert un album du même Bowie. J’avais choisi son livre parce qu’il coûtait moins cher que la biographie signée Jérôme Soligny (je l’ai achetée un mois après et les deux bouquins m’ont accompagnée au fond de mon sac pendant mes trois années de lycée, un peu comme des objets transitionnels réconfortants). Et je n’ai pas été déçue. C’est avec lui (et Soligny) que j’ai découvert en vrac Bowie, le Velvet, Iggy, Lou Reed, la Factory, Bolan, le glam et le reste. Sans ce bouquin-là, j’aurais sûrement aimé Bowie, mais je ne me serais sans doute pas autant immergée dans un autre univers, autrement plus sexy que cette banlieue parisienne où j’avais l’impression permanente d’être une alien, incapable de m’intégrer vraiment quelque part.

    Plus tard, alors que ma collection de disques avait pris de l’ampleur, j’ai croisé plusieurs fois Gilles Verlant à Canal+. Il venait y mettre en boîte des bandes annonces et je bossais comme petite main à tout faire à la grille des programmes. Je n’ai jamais osé lui parler à cette époque-là (je me voyais mal lui dire « j’aime vachement ce que tu fais et dis, tu peux me pistonner pour que je devienne rock critique, merci »), mais j’ai le souvenir d’un mec sympa avec tout le monde. Y compris avec moi, même si je n’étais personne et qu’avec mon air glacial, mes fringues noires et ma timidité limite autiste, j’étais à peu près aussi exquise que Lisbeth Salender en plein PMS.

    Beaucoup plus tard, Valli m’a invitée à une de ses émissions sur France Inter. Avec Gilles Verlant. J’étais ravie et morte de trouille. Je n’avais pas envie de m’apercevoir que l’un de mes deux parrains de Bowisme était un sale type (même si Jérôme, mon autre initiateur à Bowie est devenu un ami, ça n’aurait pas compensé). Là encore, je n’ai pas été déçue. J’ai aussitôt eu l’impression de discuter avec un vieux copain. J’ai même risqué de passer pour une groupie en lui racontant l’histoire de ce fameux bouquin et il a eu l’air touché, un peu gêné, parce que oui, quand on écrit, on n’a jamais tout à fait conscience de l’importance que ses mots peuvent avoir pour les autres…

    Pendant l’émission, Gilles s’est conduit en gentleman, le genre qui écoute son interlocuteur sans couper la chique, qui souligne ce qu’on a dit de juste et glisse sous le tapis l’argument faiblard qu’on a balancé dans la ferveur du moment. A aucun moment, il ne l’a joué « moi, moi, moi, ma vie, mon œuvre, mon expérience, pardon mon petit, c’est moi qui ai inventé le rock ». Et dans un job devenu la foire au personal branling, c’est une qualité rare (j’ai la liste des autres gentlemen et women de cette espèce, elle tient sur un post-it).

    Alors pour tout ça, oui, merde, pas Gilles Verlant…


  6. Festival, J-quelque chose, part II

    juillet 3, 2013 by Isabelle Chelley

    Aucun chihuahua n’a été malmené pour l’illustration de cet article. 

    Le festival est sûrement le moment de l’année où j’apprécie mon statut privilégié. Car, oui, petit scarabée, être journaliste en festival, c’est un peu moins pire qu’être spectateur. Par exemple, grâce à mon badge laminé sur lequel j’ai pris soin de coller une photo surexposée et/ou je porte mes Wayfarer (planquer ses cernes est un boulot à plein temps), j’ai accès à l’Espace Presse. Le Saint des Saints. Contrairement à ce que disent les jaloux n’y ayant pas accès, l’alcool n’y coule pas à flot gratuitement et les rock-stars n’y tapent pas la discute en offrant des lignes de coke sur le ventre nu de jeunes filles nubiles, mais il y a quand même quelques avantages. Comme celui de profiter de toilettes propres et d’une tente avec des sièges où poser son postérieur, son sac et sa picole entre deux concerts. On y croise aussi une faune pittoresque, que je vais me faire un plaisir de te dépeindre, petit scarabée, afin de te faire rêver. Ou ricaner si tu as un mauvais fond, ce que je soupçonne si tu traînes sur ce blog.

    L’attachée de presse du festival : À côté d’elle, Shiva est manchot. Entourée d’un bataillon d’assistantes et de stagiaires, elle jongle avec trois portables et douze listes, distribue des passes à des journalistes ronchons parce qu’ils ont dû faire cinq minutes de queue et court partout, à mi-chemin entre Usain Bolt et un canard décapité. Pendant le festival, elle ne se départit jamais de son sang froid, sauf lorsqu’on la remercie ou qu’on lui propose un truc à boire. Il faut la comprendre, elle n’a plus l’habitude.

    L’éponge : Ce journaliste chevronné passe ses festivals dans un doux brouillard embièré. À peine arrivé, il fait l’ouverture du bar, repère un transat entre la tireuse à bière, les wawas et l’écran géant et prend racine pour le week-end. Il ne va pas au devant du monde, le monde vient à lui (il est stratégiquement installé sur la route du bar, n’oubliez pas ce détail crucial). A défaut de commenter le festival qui se déroule de l’autre côté de l’espace presse, il égrène ses souvenirs des éditions précédentes. On sent sa gorge se serrer d’émotion lorsqu’il évoque cette belle cuvée 2005, quand il y avait eu l’évènement Heineken avec open bar. Il basera ensuite son compte-rendu sur les images aperçues sur l’écran géant, les commentaires des confrères et les bruits de couloir rapportés par son nouveau meilleur pote, le barman.

    Le parasite : Il débarque nimbé d’une aura de mystère. Nul ne sait comment il a obtenu son pass, puisqu’on ne connaît pas le média pour lequel il est censé écrire. Mais lui, il connaît tout le monde, s’incruste dans les conversations, essaie de décrocher des piges partout (une rumeur prétend qu’il va aussi au salon « Tricots en Fête » et fait la retape auprès de la rédac’ chef de Modes & Travaux, mais ce n’est qu’une rumeur, hein…) et s’arrange pour se faire payer à boire à tout va. Sa plus fâcheuse manie ? À l’inverse du morpion qui s’accroche, il plante son interlocuteur en pleine phrase parce qu’il a repéré un plus gros poisson à ferrer. Dans un monde idéal, il finirait le festival sur un rail, avec goudron et plumes. En réalité, il repart avec des plans boulot à la pelle et des invits plein les poches.

    Le grand reporter : Dans sa tête, il se voit comme un reporter de guerre, risquant sa vie sur le front, prêt à perdre un membre pour montrer au monde la vérité sur cette putain de guerre. En réalité, il travaille pour un magazine pour adolescentes, mais rien dans son look ne le laisse supposer. Treillis camouflage, casquette du Che vissée sur le crâne, chèche autour du cou et bottes de combat, il affiche en permanence l’air sombre du type qui a trop vu d’horreurs dans sa vie et adore saper le moral des photographes débutants en répétant que « le métier, c’est mort, mon gars… Fais autre chose tant qu’il est encore temps. Pour moi, c’est cuit, c’est trop tard ». Dernière précision. Quand il balance, dents serrées, sourire à l’envers, qu’il a « fait Indochine », il ne parle pas de la guerre. Juste du groupe de Nicola Sirkis.

    Le photographe : Sache-le, petit scarabée, le photographe en festival se repère à ses chaussures. Elles sont tout terrain, certes, mais également faites pour marcher, comme le disait Nancy S. au sujet de ses bottes. Car le photographe, à l’instar de la tortue, de l’escargot et de ma personne partant en week-end, trimballe sa maison sur son dos. Ou, en l’occurence, une collection de boîtiers, d’objectifs et autres machins techniques très coûteux qui pèsent lourds. Il est parfois équipé de baudriers divers auxquels il suspend son précieux matos. Voire d’une lanière spéciale où suspendre en sautoir son gobelet à bière. Et ça, ça mérite un certain respect.

    Le blasé : Il erre sur le site avec l’expression de l’ado traîné au musée par ses parents et zappe d’un concert à l’autre, consterné par la médiocrité ambiante, la programmation frileuse, la météo tartouille, la bouffe hors de prix, les spectateurs qui, au choix, applaudissent trop ou pas assez et l’enthousiasme hypocrite de ses confrères. Il est formel : les festivals, c’était mieux avant. Ou ailleurs. Là où son magazine n’a pas les moyens de l’envoyer. Du coup, il se venge en douchant la bonne humeur des autres. Mais lorsqu’à la fin du week-end il annonce qu’il remet ça la semaine prochaine, on comprend enfin qu’au fond, sous ses airs indifférents, il cache des penchants masochistes.

    Le journaliste mondain : Il n’a pas été accrédité comme ses confrères, mais invité par Thom (Yorke). Et il n’a pas l’intention de passer ce point de détail sous silence. Quand il n’est pas backstage à frayer avec ses amis les rock-stars ou planqué sur un coin de la scène pour assister aux concerts, il pratique le name-dropping avec frénésie, impressionnant le Parasite qui tente de se greffer à lui au cas où il y aurait des miettes à récolter. Il arrive sur le site en début de soirée car, la veille, il s’est couché à pas d’heure, s’excuse-t-il, à cause de l’after top secret où les Arctic Monkeys passaient des disques. Au milieu des buveurs de bière, il est le seul à ne carburer qu’au champagne. Et le seul à garder des chaussures propres pendant tout le festival, à croire qu’il ne se déplace qu’à dos de bénévole.

    La journaliste à progéniture : Elle a les moyens de s’offrir une baby-sitter, mais tient à montrer à la profession toute entière son (ou ses) gamin trop génial, très mature et grand fan de rock à quatre ans. Pour l’occasion, elle l’a déguisé en bébé rocker, avec jeans slim, perfecto couvert de badges, Converses et t-shirt Ramones. On le plaindrait bien (d’autant qu’il porte un prénom parfait, surtout pour un loulou de Poménarie) s’il n’était pas aussi mal élevé, bruyant, insolent et tête à baffes. Il enchaîne les caprices, court dans les jambes de tout le monde et manque de renverser la bière de l’Éponge sous l’œil extasié de maman qui tente de le refiler aux collègues pour ne plus se le coltiner. En bonne fourbasse, on finit par lui faire un croche-pied. Et vu le nombre de fois où il se vautre pendant le week-end, on sait qu’on n’est pas la seule.

    Le mec de l’association : Il est mo-ti-vé. Vêtu à la dernière mode alter-mondialiste et souvent surmonté de dreadlocks, il arpente le site en distribuant à tour de bras les flyers pour son assoc’ (il ne dit jamais association). Et c’est aussi bien. Car dès qu’il s’arrête, il se mue en redoutable raseur. Sa force ? Débiter un monologue-fleuve sur les initiatives de son assoc’, dans lesquels reviennent toujours les mots « citoyen » et « lien social » et son mépris pour l’industrie du disque et la presse musicale. On regrette encore d’avoir dévié la conversation en le lançant sur ses goûts musicaux. Il dégaine un CD d’un « groupe de potes qui font un truc un peu à la Shaka Ponk mais en plus reggae avec des paroles engagées » et nous le refile dans l’espoir de décrocher une chronique.

    Le journaliste du petit site qui monte : Son site ne peut que monter, puisque pour l’instant, il est ultra confidentiel. Mais armé d’une caméra et d’un appareil photo, son fondateur et unique rédacteur, monteur, preneur de son et d’images l’affirme haut et fort : avec tout le trafic qu’il va récupérer dans la foulée des festivals, son site sera bientôt le nouveau Pitchfork. Pour l’instant, ce forçat du web enchaîne les interviews des groupes du Tremplin Jeunes Talents Acnéiques. Après quoi il tend son micro à qui veut bien dire deux mots sur le festival, car, manque de bol, il n’a pas obtenu l’autorisation de filmer les concerts. Ni d’aller dans la fosse des photographes. Au fond, ce n’est pas si grave, vu qu’il a oublié de faire imprimer des flyers avec l’adresse de son site.

    Le journaliste de la PQR : Il travaille pour la presse quotidienne régionale et couvre le festival avec le même zèle que le banquet des anciens, le tournoi de pétanque et l’inauguration du gymnase Pierre Perret. Il ne connaît rien au rock, confond Marilyn et Jeane Manson et truffe son compte-rendu de généralités, d’observations sur la météo, de statistiques sur le nombre de litres de bière vendus et de propos du Conseiller Général qui se félicite de l’affluence et de la bonne organisation de l’événement. On meurt d’envie de le voir discuter avec son lointain confrère le mondain. Juste pour voir s’ils arrivent à se comprendre.


  7. Festival, J-quelque chose…

    juin 28, 2013 by Isabelle Chelley

    Encore un visuel moche de ma création… comme quoi il ne sert à rien d’avoir un iPhone avec un bon appareil quand on est une buse photographique

    Les Eurockéennes approchent. Dans un instant de folie suicidaire doublé d’une envie pressante de revoir Blur, j’ai demandé une accréditation pour l’une des plus grandes fêtes de la gadoue en France. Ça fait longtemps que je n’ai pas remis les pieds à Belfort et si j’ai oublié à quoi ressemblait le site en détail, je sais déjà qui je vais croiser. Les mêmes qu’à Rock en Seine l’an dernier, par exemple. Allez, petit passage en revue de quelques festivaliers incontournables…

    Drapeauman : Est-il breton de souche ou d’adoption ? Nul ne le sait. On ne sait pas non plus quel groupe il est venu acclamer. Sa seule activité pendant le festival consistera à agiter un drapeau breton. On le soupçonne de continuer à le faire machinalement aux portachiottes pendant sa pause pipi. Cet homme et son armée de clones sévissent tout l’été dans tous les festivals. De Coachella à la Foire au Boudin de Fouzy-les-Meldeuses, du Burning Man aux Vieilles Charrues, son drapeau claquera au vent. Et quand on l’aura dans sa ligne de mire, on aura une violente envie de lui claquer le museau.

    L’équipe de basket amateur : Elle ne se matérialise que lorsque ta meilleure pote d’1,50 mètres vient de trouver un spot idéal pour voir son groupe favori. Pile au moment où tout est blindé et que la malheureuse ne peut plus bouger un orteil.

    Relou’ckn’roll : Ne riez pas. Ce pauvre garçon est atteint du syndrome de la Tourette, mais au lieu d’émailler son discours de « couille-bite-salope », il braille par intermittence « rock’n’rooooollll ». Il ponctue la moindre intro de n’importe quel morceau (rock ou pas), l’entrée sur scène d’un roadie chauve et transpirant ou l’arrivée de son casse-dalle à la tartiflette de son célèbre cri. Il est rare qu’on plaigne les gens qui campent volontairement. Mais on finit par éprouver une grande compassion pour ses voisins de tente qui l’entendront pousser son brame nocturne du fond de sa canadienne.

    La fashionista : Sa sœur aînée, groupie de Pete Doherty, a vrillé des milliers de tympans innocents. Elle, elle préfère être belle et hanter le site en quête d’un spotter, c’est-à-dire un photographe d’un magazine/d’un blog mode susceptible d’immortaliser son look. On la repère à sa tenue des plus adaptées à base de robe en dentelle blanche, plumes dans les cheveux, chapeau improbable et chaussures compensées idéales pour un trek dans les tranchées. Et au fait qu’elle passe son week-end à enchaîner les selfies dans la moindre surface réfléchissante.

    La Crêpe Humaine : Dès son arrivée sur le site, la Crêpe Humaine n’a qu’une mission : se mettre minable. Bière, alcool de contrebande, kebab, herbe, hallucinogènes divers et avariés, tout est bon pour lui. La Crêpe adopte alors sa posture de prédilection, c’est-à-dire allongée dans un coin d’herbe, inerte, plate, un vague filet de bave aux lèvres, un coup de soleil sur le nez force 20 s’il fait beau, un début de pneumonie s’il pleut. Contrairement à la bombe humaine que tu tiens dans la main, la Crêpe Humaine risque d’être sous tes pieds si tu n’y fais pas gaffe.

    Les Locaux : Ce sont les parents des bénévoles qui bossent sur le site pendant qu’on s’amuse. Reconnaissables à leur look de randonneurs, à base de chemise en polaire assorties, croquenots de montagnards, bobs vissés sur le crâne, pantalons multipoches, ils arborent parfois, comble de la folie, le même t-shirt aux couleurs du festival. Ils ne se déplacent qu’en couple, voire en grappe de quatre ou six. Ils observent les festivités d’un œil curieux d’ethnologue en mission dans une peuplade exotique, applaudissent poliment et sont les seuls à s’intéresser au stand du Conseil Général ou Régional sur le site.

    Pissman : Grâce à sa prodigieuse capacité à enchaîner les pintes, les patrons des nombreuses buvettes du site pourront s’offrir un jacuzzi à la fin de la saison. Mais n’allez pas croire que c’est le super pouvoir de Pissman. Non, son truc, son gimmick, c’est de se soulager partout, constamment, en abondance et sans gêne aucune. Mais JAMAIS aux wawas, question d’honneur. Selon la légende urbaine, Pissman sévirait même aux premiers rangs de la scène principale, vidangeant sa vessie le long du jeans slim du copain de la Fashionista. Son spot préféré ? Le mur du bar à vin sous le regard outré des festivaliers bobos venus s’envoyer un godet de rosé bio ou mieux encore, l’entrée des portachiottes, provocation ultime pour tous les affligés qui poireautent en faisant la danse du pipi.

    Le Crétinus Festivalus : En l’espace d’un week-end, cet individu d’ordinaire inoffensif va se muer en pire cauchemar de la sécurité. Cousin de la Crêpe Humaine en version dopée, le Crétinus n’a qu’un objectif : faire tout ce qui est interdit, dangereux, très con et interdit parce que dangereux et très con. Il escalade chaque poteau, se jette dans la foule dès qu’il le peut, se roule dans la boue là où les portachiottes ont refoulé, mange des sushi qui sentent bizarre, gambade en slip sous la pluie battante, plonge après douze bières dans la moindre pièce d’eau, nargue la sécurité alors qu’il pèse 60 kilos tout mouillé, mord le berger allemand plein de puces d’un punk à chien embusqué sur la route du camping et s’arrange pour montrer ses fesses à la caméra en pleine captation du concert par Arte. Le festival achevé, arborant une seule basket boueuse et des vêtements déchirés, le Crétinus arpentera le site, nez rivé sur le sol, à la recherche de son sac à dos contenant son portefeuille et son billet de train de retour.

    Le/la pote de lycée : On l’a perdu(e) de vue depuis le lycée et un jour, on l’a retrouvé(e) sur Facebook et constaté que la nature avait été moins indulgente avec lui/elle qu’avec nous. Il faut dire qu’il/elle a eu trois mômes et vit dans un bled oublié par les spotters de magazines/blogs mode. On a échangé avec lui/elle deux fois sur Facebook, assez pour constater qu’on n’a plus rien en commun. Sauf ce festival où il/elle va en couple, vu que son aîné (il/elle s’est reproduit(e) très très tôt) est bénévole sur le site. On promet de se voir, persuadée qu’au milieu de 10 000 spectateurs, il y a peu de chance qu’on se croise. Mais pendant le week-end, à croire qu’on nous a équipée en secret d’une balise Argos, il/elle va surgir sur notre route au rythme de 30 fois par jour si bien qu’on hésite entre s’acheter une burqa ou un costume de tortue Ninja pour se fondre incognito dans la foule. Et on culpabilise presque d’avoir un si mauvais fond. Enfin, PRESQUE, hein, quand même.

    Le chanteur sympa et vachement simple : Il a déjà joué ou va bientôt le faire, mais il tient à ce qu’on le perçoive comme un festivalier normal, certes bardé de pass All Access et déambule dans la foule, sourire aux lèvres, pinte à la main. Il adore qu’on le reconnaisse, pose dès qu’il croise un iPhone (et ruine au passage un magnifique selfie de la Fashionista), signe tout, du t-shirt à la barquette de frites et tape la discute avec le petit peuple – bénévoles, serveurs des buvettes, vendeurs de kebabs. Est-il aussi sympa qu’il en a l’air ? N’a-t-il pas d’amis backstage ? Veut-il se faire élire Maire du Festival ? On ne sait pas. Mais son opération com’ marche à plein régime, puisque sa bobine souriante va saturer les réseaux sociaux tout au long du week-end, et ce, sans un mot sur son concert… Ce qui est aussi bien.

    Evidemment, l’espace presse est aussi hanté d’étranges et pittoresques créatures. Envie de découvrir leurs mœurs, us et coutumes ? Revenez faire un tour ici…


  8. Dix raisons d’aller à la Fête de la Musique

    juin 21, 2013 by Isabelle Chelley

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    C’est aujourd’hui, vous n’y couperez pas. A moins qu’au fond, vous l’attendiez… Besoin de vous justifier auprès de vos amis qui méprisent cette joyeuse initiative citoyenne ? Voilà dix bonnes raisons d’aller à la Fête de la Musique.

    1. Vous avez perdu un pari.

    2. Vous êtes radin et vous habitez Paris ou sa banlieue. Comment résister à ce forfait RATP à 3€ pour toute la nuit, hein ? Et aux sanisettes gratuites, disponibles jusqu’à minuit au lieu de 22 heures d’habitude ? Oui, on comprend votre émotion…

    3. Il pleut. Du coup, la peau des djembés sera détrempée. Et un djembé spongieux, ça produit assez peu de bruit, somme toute.

    4. Vous détestez U2, Deep Purple, Téléphone et Dire Straits ? Ça tombe bien : ce soir, ils seront massacrés sans sommation par des groupes amateurs composés d’un chanteur approximatif, d’un batteur mal coordonné, d’un guitariste en moufles et d’une choriste qui fait wooohooooo de façon compulsive en secouant un tambourin. Vous verrez, c’est jouissif.

    5. Vous trouvez la ville glaciale, les liens sociaux plus effilochés que le bas d’un sarouel de joueur de djembé ? Ce soir, vous allez vous faire plein de nouveaux amis. Comme Relou qui vous racontera sa life tandis que son acolyte Trois Grammes alternera bières, blagues de cul et rototos sonores. Quand vous vous en serez dépêtré, vous ne regretterez plus jamais la froideur de la ville.

    6. C’est moche, mais vous avez un fétiche honteux dont vous n’osez parler à personne. Oui, en secret, vous rêvez que des inconnus vous vomissent sur les pieds. Petit veinard, this could be your lucky day !

    7. C’est moche, mais vous avez un fétiche vraiment honteux dont vous n’osez parler à personne. Oui, en secret, vous avez un faible pour le jazz manouche ou les reprises de Florent Pagny en rap. Il vous est même arrivé de vous masturber en écoutant Zaz. Ce soir, petit pervers, vous serez heureux comme Keith Richards en Colombie. A qui on a greffé une trompe.

    8. Vous aimez faire le bien autour de vous, vous êtes d’un naturel partageur ? Allez prendre un bain de foule ce soir. Vous pourrez ainsi partager aisément votre portable, portefeuille, carte bleue, sac à main, etc.

    9. Vous avez des enfants ? La chorale de fin d’année et le concert de flûtes à bec vous sembleront nettement moins douloureux après le set des Ska-Ska Boudins, sympathique formation de ska festif aux paroles inspirées par des blagues Carambar ou celui des Bongles, tribute band des Beatles version reggae-fumette.

    10. Vous ne voulez pas faire pleurer Jack Lang.


  9. Écoute ce disque…

    juin 14, 2013 by Isabelle Chelley

    Pendant que vous posterez vos burgers aux sushis sur Instagram ce midi, je serai en train de bosser. Enfin… J’écouterai un album. De manière tout ce qu’il y a de plus officielle, entourée de mes éminents confrères et consœurs, tous invités par la maison de disques, communiqué de presse sous le museau, iPad sur les genoux pour prendre des notes (ou lire en douce le New Yorker s’il y a du retard et que je n’ai pas pu m’asseoir à côté de mon meilleur ami dans le métier, il se reconnaîtra)…

    Mais attention, il y a autant de types d’écoutes d’albums que de sous-genre de metal au Hellfest… Dans un but éducatif, j’ai décidé d’en dresser une petite liste, en me basant sur mon expérience personnelle en la matière. Toutes ces situations ont vraiment existé. Je n’ai mis aucun nom afin de protéger l’honneur de mon neurone qui les a oubliés en route.

    L’écoute de luxe La maison de disques a un budget promo. Et elle tient à montrer que ce disque-là est une priorité. Du coup, elle a invité tout le gratin de la presse rock ou pas, d’internet et même du pas si gratiné que ça (on le repère à l’air interloqué de celui qui redoute d’être vidé à coup de pompes dans le fondement). Il y a du champagne. Et de la bière. Et du vin. On ignore s’il s’agit de chouchouter le journaliste ou de le faire boire pour qu’il soit indulgent. Il y a aussi du manger. Et pas que des chips en paquet familial. En dix minutes chrono, tout le monde est pompette. L’écoute achevée, l’attachée de presse zélée prendra soin de réveiller le vieux briscard ronflant dans un coin, huit coupettes vides devant lui.

    L’écoute fauchée La maison de disques est un label indépendant plein de bonne volonté et d’énergie. Elle a convié tout le gratin de la presse rock ou pas, de l’internet et même le pas si gratiné que ça. Au final, nous sommes quinze. Le gratin n’a pas pu venir, bizarrement, il devait avoir piscine. L’attaché de presse (qui est également le boss-adjoint, le chef de produit et le standardiste) file au Franprix et revient avec des packs de bières (pas fraîches), du faux coca, des chips en paquet familial et des pseudo-Haribo. On repère les pigistes web bossant gratos et les stagiaires des rédactions au fait qu’ils se jettent sur la bouffe. L’écoute achevée, l’attaché de presse zélé prendra soin de réveiller le stagiaire ronflant dans un coin, trois canettes vides devant lui.

    L’écoute service minimum La maison de disques en a ras-le-pompom du gratin de la presse qui se la joue diva, n’aime pas internet et s’en cogne du pas si gratiné que ça. Elle convie malgré tout ce petit monde en fin de journée dans une salle de réunion lugubre, aérée pour la dernière fois en 1998. Il n’y a pas assez de chaises pour tout le monde. L’assistante de l’attachée de presse propose du bout des lèvres à boire et revient avec une bouteille d’eau et des gobelets plastique. Elle déboule en pleine écoute sans prévenir pour vérifier qu’on prend bien des notes. L’écoute achevée, l’assistante zélée prendra soin de signaler à l’assemblée qu’il est 19h30 et qu’elle rentrerait bien chez elle maintenant.

    L’écoute en solo La maison de disques a organisé une écoute en groupe alors que ce jour-là, on avait piscine. Mais comme on doit chroniquer l’album ou faire une interview, on se pointe seule un après-midi et on se retrouve dans le bureau de l’attachée de presse et de ses collègues. Et c’est fou comme on a du mal à se concentrer assise sur une chaise à roulettes, avec en stéréo, l’album et la voix de l’attachée de presse et ses stagiaires en grande conversation avec la moitié de nos éminents confrères et consœurs qui eux non plus, n’ont pas pu aller à l’écoute et aimeraient bien jeter une oreille au disque… L’écoute achevée, l’attachée de presse zélée prendra soin de nous bombarder de questions pour avoir notre avis et, à la moindre de nos réserves, nous dira que Machin (insérer le nom d’un rock critique bien plus prestigieux que nous) a A-DO-RÉ, lui.

    L’écoute en studio La maison de disques a décidé d’organiser une colo de vacances connue sous le nom de voyage de presse (je vous raconterais ça en détail une autre fois, c’est très rigolo, sauf pour l’attachée de presse qui finit généralement avec l’envie d’être la star d’un prochain Faites Entrer l’Accusé intitulé La Tueuse de journalistes – Meurtres de masse dans l’univers du rock). Et dans un grand moment de folie, elle embarque quelques privilégiés qui pourront découvrir l’album dans le studio où il a été enregistré et interviewer le groupe dans la foulée. Lâcher une bande de grands ados attardés journalistes de rock dans un studio est risqué. Il y en a qui veulent faire joujou avec les boutons de la console de mixage. Ceux qui vont mater les guitares et les micros. Les fétichistes qui font des photos de tout, y compris du vieux tabouret bancal, parce que, qui sait, Kurt Cobain y a peut-être posé son chétif popotin. L’écoute achevée, l’attachée de presse zélée prendra soin de rassembler ses troupes dissipées et de gronder le sale gosse l’éminent rock critique qui a tenté de jouer Smoke On The Water sur une gratte vintage qui traînait dans le coin.

    L’écoute parano La maison de disques a du lourd, du très lourd. Et tient à le faire savoir. D’où l’enclenchement du mode Fight-Club. C’est-à-dire que la première règle de cette écoute est qu’il est interdit de parler de l’écoute. Le gratin de la presse et d’internet est convié (le pas si gratiné que ça n’est pas au courant de toute façon) et averti au préalable qu’il ne doit pas avouer, même sous la torture, qu’il va à cette écoute. Les journalistes doivent signer des liasses documents leur faisant jurer sur l’honneur, la vie de leur éventuelle descendance ou, plus important, celle de leur collection de vinyles, qu’ils ne diront pas un mot au sujet du disque avant sa date de sortie. Frustrés de ne pas pouvoir narguer le petit peuple sur les réseaux sociaux, ils grognent, mais aucun d’entre eux n’enfreindra la règle, de crainte des conséquences allant du bannissement à la déportation sur une planète hostile sans oxygène avec Christophe Maé en fond sonore. L’écoute achevée, l’attachée de presse zélée prendra soin de réitérer les menaces, en insistant sur le fait qu’elles émanent de la maison de disques américaine ou anglaise, équivalent du croque-mitaine croisé de Satan, en plus méchant.

    L’écoute en présence de l’artiste JAMAIS. Il n’y a rien de plus stressant que de devoir se concentrer sur un album tout en sentant le regard anxieux de son auteur guettant nos réactions et s’attendant ensuite à un commentaire intelligent et constructif, comme ça, sans recul (« waow, cool, putain d’album, j’ai kiffé ! » n’est pas considéré comme entrant dans cette catégorie). Donc JAMAIS. Plutôt tourner une sex-tape zoophile et la projeter à mes parents et amis les plus proches, le tout pendant un grand week-end au camping (je tiens à préciser que je vomis de la bile fluorescente à la simple vue d’une tente Quechua).


  10. Question de longueur…

    juin 10, 2013 by Isabelle Chelley

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    Après la mode du « tiens, si on commençait le concert tard, genre vers 22h30, mais on ne le dit pas vraiment sur le billet, hein, on met 20h, comme ça, les spectateurs boivent plein de pintes et on se fait un max de tunes l’air de rien », voici la tendance « plus y’en a, mieux c’est, si, si, tu vas voir ».

    Ouais, c’est nouveau, pas moyen d’aller voir un concert sans se manger trois groupes minimum à l’affiche. Ce qui pose quelques problèmes et désagréments. D’abord, soit le concert commence très tôt et forcément, ce n’est pas du goût de ceux qui travaillent, soit il débute aux alentours de 20h30 et là, il faudra dire demain à ses yeux au réveil, « rendez-vous, vous êtes cernés ».

    Mais ce n’est pas le plus grave (on a un très bon anticernes à vous recommander…) Non, le pire, c’est que quatre groupes à l’affiche, ça veut forcément dire des sets abrégés, pas de rappel, bref, une sorte d’échantillon de concert, à mi-chemin entre le showcase et le passage en festival. Et quand on va voir son petit groupe indé qui ne tourne pas forcément en Europe tous les trois matins, c’est très frustrant. Genre très très, même.

    Enfin, comme on est d’un naturel aimable, on passera sur les affiches fourre-tout. Oh et puis non, on va dénoncer. La soirée Secretly Parisian, organisée par le label Secretly Canadian et ses affiliés s’inscrivait pile dans cette catégorie-là. Au programme, quatre groupes n’ayant rien à voir ensemble. Pour avoir droit à 45 minutes de Bleached, on s’est insufflé les mous de Diana. Puis par curiosité, on a jeté un œil au groupe suivant. Outre son côté pittoresque – le chanteur avait l’air dégoûté du mec qui a trouvé un caca de pigeon dans sa bière et l’ensemble louchait salement vers Paul Simon, époque « Graceland » – on se demandait ce qu’il foutait au programme, entre de la pop momolle, les pétroleuses de Bleached et le groupe suivant, plutôt orienté prog…

    Mais attention, hein, on n’a rien contre les soirées ou festivals de labels. A condition qu’ils soient organisés par des labels ayant une vraie identité forte. Comme Fargo et son Fargo Rock City. Sa triple affiche Two Gallants – Sallie Ford & The Sound Outside – Steve Earle le 27 mai au Trianon était parfaite. Cohérente sans être trop homogène. Dense, forte, mais pas indigeste. On en espère autant du City Sounds au 104 à Paris les 19 et 20 juillet.

    En attendant, on aimerait rappeler aux organisateurs de concerts que la longueur ne compte pas… Que tous les bonus tracks du monde n’ont pas sauvé le CD de sa morte douloureuse… Que les triples albums des seventies ont failli provoquer la mort du rock… Et que zapping et nouvelles technologies obligent, on a désormais tous la capacité d’attention d’un gosse de trois ans… Alors n’hésitez pas à revenir à la bonne vieille formule « première partie, groupe star et zou c’est plié ». On ne vous en voudra pas. L’anticernes à la longue, c’est un vrai budget. Merci.