Il y a des moments dans la vie d’un humain où rage, effroi, impuissance et pensée magique entrent en collision face à une détresse insurmontable. Réflexe ancestral inscrit dans notre code génétique depuis l’époque où nous survivions, vêtus de peaux de bêtes, occupés à dessiner sur les parois des cavernes des blagues sur les T-rex ne pouvant pas se torcher le cul et à alimenter le feu, si précieux lors des barbecues avec la famille Cro-Magnon voisine.
Il arrivait cependant que cette saloperie de feu de sa race s’éteigne sans raison, au moment où les Magnon d’à côté débarquaient, pack de Cro-Nenbourg sous le bras. Nom d’une couille de mammouth laineux, braillait alors notre ancêtre, conscient que sans feu, impossible de faire des signaux de fumée pour communiquer avec ces incompétents du service clients qui le laisserait deux plombes en attente.
L’homme des cavernes se prenait alors la tête à deux mains, frappait les cendres à coup de gourdin, grognait quand son voisin demandait s’il avait tenté d’éteindre et de rallumer le feu, puis s’effondrait, prostré, maudissant cette technologie moderne qui lui compliquait la vie…
Je pourrais m’étendre sur le sujet, n’ayant jamais raté un épisode de la Famille Pierrafeu, mais revenons à l’ère moderne. A ce moment d’horreur où l’iPhone se jette tête la première dans les WC. Où la box ne répond plus. Où l’écran d’ordinateur affiche des messages anxiogènes du style, “Disque dur introuvable. Si, si. Vraiment. J’ai cherché partout”. Et tandis que tu poireautes avec en fond sonore, le message d’attente du service clients, tu as tout le loisir, Petit Scarabée, de te poser des questions philosophiques, telles que, quoi écouter quand… la technologie rend l’âme ?
Dans ce cas désespéré, il faut du baume pour ton âme à vif. Et quoi de mieux que la fausse lo-fi des barbus de Modesto, plus connus sous le nom de Grandaddy, et de leur album de 2000, The Sophtware Slump ? Les anglophiles auront compris que ce titre qui ne s’écrit pas comme il se postillonne est un jeu de mot entre sophomore et software. (Le sophomore slump, c’est l’expression pour parler du toujours délicat deuxième album où la baisse de forme se fait sentir).
Dès sa pochette au titre écrit en touches d’ordinateur, on flaire le concept album. Non, Petit Scarabée, ne fuis pas ! Il ne s’agit pas d’une de ces créations fumeuses des seventies, promis. Si la modernité et la technologie ont souvent été synonymes de froideur et d’inhumanité, ici, c’est tout l’inverse. La sensibilité se porte à fleur de peau, les mélodies filent le frisson, la voix de Jason Lytle est fragile et terriblement humaine sur ces symphonies de poche, pop et mélancoliques.
Et là, Petit Scarabée, je te sens me taper sur l’épaule et pour une fois, je tolère cette familiarité, d’autant que ça fait une heure que tu attends qu’un technicien te réponde. Tu veux savoir quels morceaux vont le plus te parler sur cet album ? “The Crystal Lake”, avec ses boucles de bidouillis de synthés vieillots est un bijou invitant à se barrer loin de tout ça… et se conclut sur un poignant “je me suis à nouveau perdu…” Voilà ce qui arrive lorsqu’on n’a plus de GPS pour s’orienter, me diras-tu…
Alors au lieu de faire de l’humour à ma place, Petit Scarabée, écoute “Jed The Humanoid”, histoire de robot qui, devenu obsolète, plonge dans la picole et s’y rouille les circuits. Oui, il fait un peu penser à Bender, le robot alcoolo de Futurama, mais en beaucoup plus triste. A côté de ce conte morbide sur l’obsolescence programmée, ta situation n’est pas si pire, non ? D’ici deux petites heures de rien, un technicien prendra ton appel et tu rejoindras le monde des connectés à l’inverse de ce pauvre Jed l’Humanoïde… Ça va déjà mieux, non ? Merci qui ?