À chaque fois que tu dis « c’était mieux avant », petit Jedi, sache que soudain, tu ressembles à Statler et/ou Walforf, plus communément appelés « vieux des Muppets ».
Je prends quelques risques avec ce titre laissant entendre que j’étais en âge d’aller à des concerts de rock en 1993… Précisons d’emblée que j’étais également à peine sortie de l’enfance à l’époque et que je portais beaucoup moins d’anti-cernes. Quoique.
À force d’entendre répéter que c’était mieux avant, j’ai voulu, dans une démarche strictement scientifique, vérifier cette affirmation souvent lancée lors d’une bouffée collective de nostalgie frôlant le vieuconnisme aigu. Commençons par faire un effort de mémoire ou d’imagination. En 1993, internet n’existait pas en France. Nous errions dans un immense vide culturel, sans vidéos de chatons, sans réseaux sociaux et trolls à mépriser, sans smartphone (ma main gauche à laquelle l’iPhone est greffé, n’en croit pas ses oreilles, ce qui est étrange pour une main). Nous survivions à peu près l’âge des cavernes avec moins de peaux de bêtes et de dinosaures…
Apprendre que son groupe préféré vient jouer
1993 : Pour ne rien louper, il fallait acheter la presse rock. Et déchiffrer les listings de concerts écrits en tout petit à la fin. Ou guetter les affiches dans le métro parisien. Ou s’aventurer à la FNAC pour repérer les concerts annoncés.
2013 : Entre les sites de billetteries, les newsletters, les blogs musicaux et les réseaux sociaux, impossible de louper un concert. Pire, il faut jouer souvent à pile ou face, parce que les organisateurs s’arrangent dans notre dos pour toujours programmer trois bons concerts le même soir. Je ne suis pas parano, mais ce n’est pas ma faute s’ils se concertent en douce, rien que pour me contrarier.
Acheter son billet
1993 : A part se déplacer, faire la queue à la Fnac/Virgin/l’espace culturel de Carrouf ou autre, en espérant très très fort que les places pour le concert d’un boys band n’avaient pas été mises en vente le matin-même, il n’y avait pas moyen d’acheter un billet facilement. Sauf, peut-être, en étant membre du fan-club. Il fallait alors envoyer son chèque et brûler des cierges à la divinité postière dans l’espoir que le précieux courrier ne se perde pas en route et arrive avant la date du concert.
2013 : Acheter son billet en ligne et le recevoir sur son smartphone, c’est à la portée de n’importe qui. Même d’un chat, sans doute. Utilisez cette excuse la prochaine fois que vous aurez envie d’assister à un concert nuisant gravement à votre crédibilité rock. Sans être parano, on sait que le chat est naturellement mauvais et n’aime rien tant que de vous faire passer pour un glandu.
Retrouver ses potes au concert
1993 : La méthode dite du « yooooohoooo, je suis là » était assez efficace, sauf quand une moitié de la salle/de la file d’attente se mettait à en l’adopter. Ce qu’elle faisait. Je ne suis pas parano, ce n’est juste pas ma faute si les files d’attente cherchaient à me nuire à l’époque en m’isolant de mes amis.
2013 : La méthode dite du SMS « Téou? » est assez efficace, sauf quand une moitié de la file d’attente se met à en faire autant et ralentit le réseau dont la couverture est inexistante dans la salle, sauf près de la porte des wawas. Bon, avec un peu de chance, nos potes sont eux aussi en pleine réunion au sommet devant la porte des wawas à tenter de nous envoyer le SMS « Téou? »
Assister à la première partie bof-bof du concert
1993 : L’option bar était souvent la solution, au risque de se retrouver bloqué au fond de la salle derrière un poteau quand le concert suivant commençait, tout ça parce qu’à force de boire, on avait envie d’aller aux wawas. Comme la moitié du public. Sans être parano, vraiment, j’ai été plus d’une fois victime de la conspiration des mini-vessies maléfiques.
2013 : S’il y a un peu de couverture réseau, c’est le moment de prendre des photos floues et sous-exposées à poster sur les réseaux sociaux, surtout si l’on assiste à un concert complet dont les billets se sont arrachés en deux heures. Sans réseau, profitons de ce merveilleux outil plein de ressources qu’est le smartphone et passons au niveau supérieur de Candy Crush.
Immortaliser le concert
1993 : On a tous eu un pote un peu foufou qui défiait l’interdiction et introduisait clandestinement un appareil photo dans la salle. En le planquant parfois dans des endroits abrités du soleil, mettant en danger ses attributs virils tout ça pour l’amour du rock (et des photos floues, mal cadrées et sous-exposées). Il arrivait aussi que le pote foufou nous demande de planquer son appareil dans notre soutien-gorge « parce que c’est plus discret, ça passera tout seul ». J’ai encore le souvenir cuisant des regards suspicieux et appuyés des videurs trouvant étrange que j’ai un sein rectangulaire. Et ce, sans être parano du tout.
2013 : On a tous ou presque un smartphone. Et même en étant moins doué pour les arts photographiques que Stevie Wonder, il serait inconvenant de ne pas s’en servir au moins une fois pendant le concert, ne serait-ce que pour saisir cette magnifique marée de smartphones brandis à bout de bras, tels des oriflammes sur le champ de bataille du décibel. Il est aussi fortement recommandé d’immortaliser à la dérobée le pignouf qui filme avec sa tablette et nous bouche la vue, afin de se livrer à du pignouf-shaming sur les réseaux sociaux.
Ah oui, au fait… Assister au concert
En 1993 comme en 2013, ça n’a pas changé. On hurle, on applaudit, on braille nos morceaux préférés en chœur, on réclame un rappel prévu au programme de toute façon. La seule différence, c’est qu’en 2013, on risque de se retrouver sur YouTube en train de faire le pois sauteur hystérique ou de jouer un inoubliable solo d’air clavier… Je ne suis pas parano, mais I’ve got parfois the feeling that somebody’s watching me. Et même filming me…