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Festival, J-quelque chose, part II

3 juillet 2013 by Isabelle Chelley

Aucun chihuahua n’a été malmené pour l’illustration de cet article. 

Le festival est sûrement le moment de l’année où j’apprécie mon statut privilégié. Car, oui, petit scarabée, être journaliste en festival, c’est un peu moins pire qu’être spectateur. Par exemple, grâce à mon badge laminé sur lequel j’ai pris soin de coller une photo surexposée et/ou je porte mes Wayfarer (planquer ses cernes est un boulot à plein temps), j’ai accès à l’Espace Presse. Le Saint des Saints. Contrairement à ce que disent les jaloux n’y ayant pas accès, l’alcool n’y coule pas à flot gratuitement et les rock-stars n’y tapent pas la discute en offrant des lignes de coke sur le ventre nu de jeunes filles nubiles, mais il y a quand même quelques avantages. Comme celui de profiter de toilettes propres et d’une tente avec des sièges où poser son postérieur, son sac et sa picole entre deux concerts. On y croise aussi une faune pittoresque, que je vais me faire un plaisir de te dépeindre, petit scarabée, afin de te faire rêver. Ou ricaner si tu as un mauvais fond, ce que je soupçonne si tu traînes sur ce blog.

L’attachée de presse du festival : À côté d’elle, Shiva est manchot. Entourée d’un bataillon d’assistantes et de stagiaires, elle jongle avec trois portables et douze listes, distribue des passes à des journalistes ronchons parce qu’ils ont dû faire cinq minutes de queue et court partout, à mi-chemin entre Usain Bolt et un canard décapité. Pendant le festival, elle ne se départit jamais de son sang froid, sauf lorsqu’on la remercie ou qu’on lui propose un truc à boire. Il faut la comprendre, elle n’a plus l’habitude.

L’éponge : Ce journaliste chevronné passe ses festivals dans un doux brouillard embièré. À peine arrivé, il fait l’ouverture du bar, repère un transat entre la tireuse à bière, les wawas et l’écran géant et prend racine pour le week-end. Il ne va pas au devant du monde, le monde vient à lui (il est stratégiquement installé sur la route du bar, n’oubliez pas ce détail crucial). A défaut de commenter le festival qui se déroule de l’autre côté de l’espace presse, il égrène ses souvenirs des éditions précédentes. On sent sa gorge se serrer d’émotion lorsqu’il évoque cette belle cuvée 2005, quand il y avait eu l’évènement Heineken avec open bar. Il basera ensuite son compte-rendu sur les images aperçues sur l’écran géant, les commentaires des confrères et les bruits de couloir rapportés par son nouveau meilleur pote, le barman.

Le parasite : Il débarque nimbé d’une aura de mystère. Nul ne sait comment il a obtenu son pass, puisqu’on ne connaît pas le média pour lequel il est censé écrire. Mais lui, il connaît tout le monde, s’incruste dans les conversations, essaie de décrocher des piges partout (une rumeur prétend qu’il va aussi au salon « Tricots en Fête » et fait la retape auprès de la rédac’ chef de Modes & Travaux, mais ce n’est qu’une rumeur, hein…) et s’arrange pour se faire payer à boire à tout va. Sa plus fâcheuse manie ? À l’inverse du morpion qui s’accroche, il plante son interlocuteur en pleine phrase parce qu’il a repéré un plus gros poisson à ferrer. Dans un monde idéal, il finirait le festival sur un rail, avec goudron et plumes. En réalité, il repart avec des plans boulot à la pelle et des invits plein les poches.

Le grand reporter : Dans sa tête, il se voit comme un reporter de guerre, risquant sa vie sur le front, prêt à perdre un membre pour montrer au monde la vérité sur cette putain de guerre. En réalité, il travaille pour un magazine pour adolescentes, mais rien dans son look ne le laisse supposer. Treillis camouflage, casquette du Che vissée sur le crâne, chèche autour du cou et bottes de combat, il affiche en permanence l’air sombre du type qui a trop vu d’horreurs dans sa vie et adore saper le moral des photographes débutants en répétant que « le métier, c’est mort, mon gars… Fais autre chose tant qu’il est encore temps. Pour moi, c’est cuit, c’est trop tard ». Dernière précision. Quand il balance, dents serrées, sourire à l’envers, qu’il a « fait Indochine », il ne parle pas de la guerre. Juste du groupe de Nicola Sirkis.

Le photographe : Sache-le, petit scarabée, le photographe en festival se repère à ses chaussures. Elles sont tout terrain, certes, mais également faites pour marcher, comme le disait Nancy S. au sujet de ses bottes. Car le photographe, à l’instar de la tortue, de l’escargot et de ma personne partant en week-end, trimballe sa maison sur son dos. Ou, en l’occurence, une collection de boîtiers, d’objectifs et autres machins techniques très coûteux qui pèsent lourds. Il est parfois équipé de baudriers divers auxquels il suspend son précieux matos. Voire d’une lanière spéciale où suspendre en sautoir son gobelet à bière. Et ça, ça mérite un certain respect.

Le blasé : Il erre sur le site avec l’expression de l’ado traîné au musée par ses parents et zappe d’un concert à l’autre, consterné par la médiocrité ambiante, la programmation frileuse, la météo tartouille, la bouffe hors de prix, les spectateurs qui, au choix, applaudissent trop ou pas assez et l’enthousiasme hypocrite de ses confrères. Il est formel : les festivals, c’était mieux avant. Ou ailleurs. Là où son magazine n’a pas les moyens de l’envoyer. Du coup, il se venge en douchant la bonne humeur des autres. Mais lorsqu’à la fin du week-end il annonce qu’il remet ça la semaine prochaine, on comprend enfin qu’au fond, sous ses airs indifférents, il cache des penchants masochistes.

Le journaliste mondain : Il n’a pas été accrédité comme ses confrères, mais invité par Thom (Yorke). Et il n’a pas l’intention de passer ce point de détail sous silence. Quand il n’est pas backstage à frayer avec ses amis les rock-stars ou planqué sur un coin de la scène pour assister aux concerts, il pratique le name-dropping avec frénésie, impressionnant le Parasite qui tente de se greffer à lui au cas où il y aurait des miettes à récolter. Il arrive sur le site en début de soirée car, la veille, il s’est couché à pas d’heure, s’excuse-t-il, à cause de l’after top secret où les Arctic Monkeys passaient des disques. Au milieu des buveurs de bière, il est le seul à ne carburer qu’au champagne. Et le seul à garder des chaussures propres pendant tout le festival, à croire qu’il ne se déplace qu’à dos de bénévole.

La journaliste à progéniture : Elle a les moyens de s’offrir une baby-sitter, mais tient à montrer à la profession toute entière son (ou ses) gamin trop génial, très mature et grand fan de rock à quatre ans. Pour l’occasion, elle l’a déguisé en bébé rocker, avec jeans slim, perfecto couvert de badges, Converses et t-shirt Ramones. On le plaindrait bien (d’autant qu’il porte un prénom parfait, surtout pour un loulou de Poménarie) s’il n’était pas aussi mal élevé, bruyant, insolent et tête à baffes. Il enchaîne les caprices, court dans les jambes de tout le monde et manque de renverser la bière de l’Éponge sous l’œil extasié de maman qui tente de le refiler aux collègues pour ne plus se le coltiner. En bonne fourbasse, on finit par lui faire un croche-pied. Et vu le nombre de fois où il se vautre pendant le week-end, on sait qu’on n’est pas la seule.

Le mec de l’association : Il est mo-ti-vé. Vêtu à la dernière mode alter-mondialiste et souvent surmonté de dreadlocks, il arpente le site en distribuant à tour de bras les flyers pour son assoc’ (il ne dit jamais association). Et c’est aussi bien. Car dès qu’il s’arrête, il se mue en redoutable raseur. Sa force ? Débiter un monologue-fleuve sur les initiatives de son assoc’, dans lesquels reviennent toujours les mots « citoyen » et « lien social » et son mépris pour l’industrie du disque et la presse musicale. On regrette encore d’avoir dévié la conversation en le lançant sur ses goûts musicaux. Il dégaine un CD d’un « groupe de potes qui font un truc un peu à la Shaka Ponk mais en plus reggae avec des paroles engagées » et nous le refile dans l’espoir de décrocher une chronique.

Le journaliste du petit site qui monte : Son site ne peut que monter, puisque pour l’instant, il est ultra confidentiel. Mais armé d’une caméra et d’un appareil photo, son fondateur et unique rédacteur, monteur, preneur de son et d’images l’affirme haut et fort : avec tout le trafic qu’il va récupérer dans la foulée des festivals, son site sera bientôt le nouveau Pitchfork. Pour l’instant, ce forçat du web enchaîne les interviews des groupes du Tremplin Jeunes Talents Acnéiques. Après quoi il tend son micro à qui veut bien dire deux mots sur le festival, car, manque de bol, il n’a pas obtenu l’autorisation de filmer les concerts. Ni d’aller dans la fosse des photographes. Au fond, ce n’est pas si grave, vu qu’il a oublié de faire imprimer des flyers avec l’adresse de son site.

Le journaliste de la PQR : Il travaille pour la presse quotidienne régionale et couvre le festival avec le même zèle que le banquet des anciens, le tournoi de pétanque et l’inauguration du gymnase Pierre Perret. Il ne connaît rien au rock, confond Marilyn et Jeane Manson et truffe son compte-rendu de généralités, d’observations sur la météo, de statistiques sur le nombre de litres de bière vendus et de propos du Conseiller Général qui se félicite de l’affluence et de la bonne organisation de l’événement. On meurt d’envie de le voir discuter avec son lointain confrère le mondain. Juste pour voir s’ils arrivent à se comprendre.


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