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2014

  1. Liste à l’index

    août 6, 2014 by Isabelle Chelley

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    Ce matin, ça s’indigne sur Twitter et Facebook. Le NME a publié sa liste des 100 artistes les plus influents et dans le Top 25 ne figurent pas les Beatles, les Stones, Dylan, les Who, etc. Tandis que mes camarades s’organisent pour sauter dans le premier Eurostar, torches et fourches en main, je me creuse les méninges, en quête d’une explication. Les journalistes ont-ils fait ce classement à 4 grammes du matin au pub du coin ? Un correcteur troll aurait-il tout chamboulé avant de guetter les réactions sur les réseaux sociaux, pop-corn à portée de main ? Et pourquoi me suis-je collée ma brosse à mascara dans l’œil droit ? (ça n’a rien à voir, mais c’est désagréable. Autant que de ne pas être dans le Top 25 pour Dylan, sans doute)

    Redoutant le plasticage de ses bureaux, le NME a publié une explica-justification. En gros, la rédac’ ne voulait pas une fois de plus s’incliner devant les mêmes statues du commandeur et s’est demandé ce que les jeunes groupes aujourd’hui écoutaient et émulaient. Ça se tient. Et ça aurait pu couper la chique aux râleurs qui se plaignent que dans la presse rock, on laisse trop de place aux morts et aux momies à guitares. Mais le râleur, n’aimant rien d’autre qu’entretenir son ulcère, s’est empressé de chouiner que hein, bon, faudrait quand même pas manquer de respect aux papys du rock et scier en douce les pieds du déambulateur…

    Ah, au fait, et moi, j’en pense quoi, vous demandez-vous par-delà votre écran ? (Ou pas, c’est votre droit. Mais alors que foutez-vous là ?). Vous allez rire, mais je m’en cogne de cette liste. Je préfère aller regarder une vidéo mignonne d’un chaton jouant avec la queue d’un autre chat.

    Je ne comprends toujours pas l’intérêt des listes, si ce n’est pour remplir des pages de magazines pendant l’été. Ou à la fin de l’année, quand l’actualité musicale frôle le néant. Laissons les classements aux sportifs. On ne peut pas classer de façon satisfaisante des artistes, sauf par ordre alphabétique quand on a une grosse discothèque. Les listes sont par nature subjectives. Il n’existe pas d’algorithme pour déterminer si, oui ou non, “Like A Rolling Stone” est une meilleure chanson que “Waterloo Sunset”, si Nirvana est plus fort que les Beatles ou si Radiohead est plus influent sur les groupes actuels que les Who… Si je vous demande aujourd’hui quelle est votre chanson préférée de tous les temps, je doute que vous me donnerez la même réponse samedi soir, après quelques verres ou lundi matin, quand, frappé de céphalo-rectalée vous irez en zombie au boulot… Je parle en connaissance de cause. Il y a des jours où je bloque totalement sur un artiste, un album, voire un morceau et je n’écoute que ça. En boucle. Deux semaines après, je compulse sur un autre. Ou je n’écoute que des playlists où figurent des dizaines de groupes…

    Le jour où je me présenterai à la présidence, je tiens mon slogan. Moins de listes, plus de playlists. Je préfère qu’on partage avec moi ses morceaux préférés que ses opinions définitives. Qui changeront l’an prochain, au prochain hors-série spécial listes de classements des tops.


  2. Un peu de fiction…

    juillet 9, 2014 by Isabelle Chelley

    En 2007, j’ai participé à la revue Minimum Rock’n’Roll, avec pour thème imposé, lèvres et rock’n’roll. J’ai pondu cette nouvelle en quelques heures, à l’approche de la deadline… Je la remets ici, sans la relire. À l’époque, je n’en étais pas trop mécontente, mais ça ne veut rien dire…

    Lundi
    La scène est insoutenable de miamitude. Miamitude, comme dans « hum, rrrrr, miam miam, mmmmm… »
    Chemise ouverte sur un torse de poulet fluet, peau blanche de bébé albinos élevé au fond d’une grotte. Guiboles fluettes de pré-adolescente anorexique moulées dans un jean skinny tuyotant sur des boots à talons. Bouclettes blond sale qui évitent de croiser le peigne. Yeux géants, cils de bambi, expression pseudo-innocente, genre, je n’ai jamais vu le loup, mais toi peut-être tu pourrais m’initier…
    Il feule et ronronne dans le micro, ondule, ne quitte pas des yeux la caméra.
    Ce type-là est un vrai cliché de rock star. De l’essence de concentré de rocker. Pour atteindre ce niveau-là, je le soupçonne d’avoir passé les 18 premières années de sa vie enfermé dans un bunker à visionner en boucle toutes les images emblématiques de 50 ans de rock’n’roll. Facile puisque la révolution a été télévisée. D’ailleurs, dès qu’il l’ouvre, il débite au kilomètre du solide clicheton 24 carats. Oui, le rock’n’roll, c’est un style de vie, une attitude, la musique n’en est qu’un élément, blah-fucking-blah…
    Ce type-là est un vrai régal pour les rédacs chefs de magazines de rock. A la limite du rêve érotique.

    Et alors ?
    Je m’en contrefous. Parce que lorsqu’il l’ouvre, je n’écoute pas un mot de ce qu’il dit ou chante. Je suis trop occupée à me laisser hypnotiser par l’organe qui lui dévore le bas du visage. Une paire de lèvres moelleuses, toujours un brin humides et brillantes (aurait-il découvert le secret du gloss perpétuel ?). Cette bouche-là est vivante. Elle mériterait d’avoir son propre agent, voire son label rien qu’à elle, une marque de fringues à son nom et sa Rolls avec chauffeur. On ne veut pas commencer à imaginer ce dont elle est capable au lit ou ailleurs.
    Oui, cette bouche-là me fascine, me transforme en petite flaque baveuse. Quand je la fixe, je ne peux plus aligner deux pensées. Voire deux mots.

    Un jour, j’ai interviewé le propriétaire de cette bouche. J’avais au préalable tenté d’expliquer la situation à mon rédac’ chef. « Tu comprends, non, vraiment, pas possible, je ne serai pas à la hauteur, non, je t’assure, pas une bonne idée même si elle vient de toi. » J’y suis allée, la mort dans l’âme, consciente du fiasco qui m’attendait. J’ai fait un détour par le bar, éclusé de quoi assommer un bucheron avant de me lancer.
    Et là, face à cette fameuse bouche, je me suis liquéfiée. Littéralement. Cerveau collant au plafond, incapable d’articuler quoi que ce soit de cohérent. Un énième gin-tonic plus tard, j’ai fini par poser trois ou quatre questions d’un niveau intellectuel affligeant, faisant passer la presse pour teenagers en pleine explosion hormonale et atrophie des neurones (« Yeah, toi aussi tu peux copier le look de Britney ! ») pour les Cahiers du Ciné version rock’n’roll. Le résultat avait des allures de Waterloo journalistique.

    Depuis, ces lèvres-là sont tabous. J’ai passé des mois à les éviter à la télé, à la radio ou dans la presse. Pour ne pas me souvenir de cette humiliation.
    Et puis les revoilà. Précédant de quelques millimètres le nouvel album de leur propriétaire. Elles vont encore m’empêcher de dormir. Et quand je ne dors pas, je deviens vite parano.

    Mercredi
    J’ai trouvé la solution, je crois. Un jour, je me suis rendu compte que si quelque chose m’obsédait, me fascinait, me terrifiait, il ne fallait surtout pas que je l’évite. Non, je devais m’en repaître. C’est comme ça que je me suis raconté chaque jour, pendant des semaines, la noyade de Brian Jones. Le suicide de Kurt Cobain et d’Elliott Smith. Celui de mon petit frère. Au besoin, je rajoute des détails. J’écris puis je jette ou j’efface.
    Je vais me repaître de ces lèvres. M’en goinfrer jusqu’au dégoût. C’est une méthode quasi-scientifique testée et éprouvée par les nutritionnistes spécialisées dans les compulsions alimentaires. Ils forcent les petites boulimiques à manger tous les jours un peu de Nutella ou n’importe quelle autre cochonnerie du désir pour démystifier la substance magique. A nous deux, la bouche…

    Jeudi
    Je viens de visionner 17 clips où l’on voit les lèvres et leur propriétaire. En règle générale, les clips ont une sale tendance à m’hypnotiser. Gamine, déjà, les publicités avaient cet effet-là. J’en connaissais chaque détail en deux visionnages maxi : costumes, décors, couleur de cheveux de la ménagère qui avait la bonne lessive ou le mauvais détergent. Sont ensuite venus les clips, les publicités pour les singles. Et j’ai retrouvé ce plaisir béat à absorber en vrac des détails inutiles, à nourrir mon petit cerveau de trivia sans intérêt.
    Je connais par cœur des centaines de clips. Je suis MTVette à moi seule.
    Et les 17 clips que je viens de m’envoyer à la chaîne, je peux les réciter à l’envers.
    Tiens, j’en serai presque dégoûtée. Je vais me coucher, sachant que pendant deux heures au moins, ces images vont se télescoper dans ma tête alors qu’enfouie intégralement sous la couette, je tenterai de faire le vide.

    Samedi
    La tactique du dégoût n’a pas fonctionné. Je devrais le savoir : ce n’est pas parce que je collectionne les cuites que j’ai arrêté de boire.
    Les lèvres ne m’ont que modérément effleuré l’esprit hier. Puis ce matin, avant même de prendre un café, elles étaient à nouveau là, au premier plan de mes pensées. Maintenant, j’imagine leur texture. Leur souplesse. Elles sont forcément douces et tendres, fermes, bien lisses. Un mélange de cul de bébé et de couvercle d’iBook tout neuf que rien n’a encore rayé. Je plains celui qui n’a jamais eu envie de caresser un iBook. Il ne sait pas ce qu’il rate côté sensualité.
    Ça ne s’arrange pas. Il faut prendre des mesures. Avant le café et la douche, j’ai donc convoqué l’ami Google pour qu’il me file un coup de main. J’entre le nom du propriétaire de la bouche dans le browser, je spécifie que je ne veux que les images.
    9 000 réponses, me répond Google avec un air satisfait, genre « ça devrait suffire pour aujourd’hui, non ? »
    Évidemment. Je vais me faire un petit Warhol de lèvres. Choisir les meilleures, les assembler, imprimer tout ça et hop. Fini la fixette. Quand j’aurais cette bouche sous le nez 24 heures sur 24, je devrais me calmer.

    Lundi
    Il y en a partout. Et l’effet s’estompe. Très vite. J’ai photocopié mon collage de bouches à une centaine d’exemplaires, j’en ai placardé dans tout l’appartement, jusque dans les toilettes et la salle de bains. Au début, saisie par l’absurdité de la situation, je me suis dis que là, c’était bon, j’étais passé de l’autre côté et que si je continuais, je ferai des collages à Sainte Anne, avec un kimono à longues manches. Ma prise de conscience n’a pas duré. Comme ce jour où j’ai réalisé que je pouvais siphonner deux fois plus de gin que n’importe quel de mes copains et envisagé dans la foulée de me sevrer. Passée l’horreur du constat, je me suis fait une raison et ajouté cette particularité à la liste de mes petites excentricités.
    Bonjour, je m’appelle Violet, je suis journaliste, je peux boire plus de gin que vous et je suis obsédée par une bouche. A part ça, tout baigne.

    Mercredi
    Je tiens à préciser que je ne suis pas du tout comme ça en général. Je ne fantasme pas plus que de raison sur la première pop star venue, loin de là. D’ailleurs, je me fiche pas mal de la pop star qu’il y a autour de cette bouche. Je serai incapable de dire si j’aime vraiment ce qu’il chante. Quand je l’écoute en faisant abstraction de ce qui m’intéresse chez lui, je trouve même ça plutôt indifférent. Du rock’n’roll générique, élevé en batterie, avec le bon riff là où il faut, des woo-hoo au refrain, des petits cris de vierge effarouchée çà et là, histoire de dire, je ne suis pas celui que vous croyez, ne me prenez pas que pour un objet sexuel, enfin bon, un peu quand même merci, des paroles d’une crétinerie juste moyenne, donc décevante, des sous-entendus plutôt sous qu’entendus, bref, rien de transcendant.
    Non, je fais rarement des fixettes comme celle-ci. J’ai dû péter un câble quelque part. Je dois être fatiguée. Je sors trop, je bois trop, je bosse trop. Je sens qu’en ce moment, tout m’échappe. Là, par exemple, je ne sais plus trop comment me vider la tête, en faire sortir cette bouche qui m’empêche de dormir. Aller voir un psy ? Hum, pas évident de lui exposer mon problème sans qu’il ne m’expédie chez les hommes en blanc. En parler à une amie ? Je n’ai pas l’habitude de déballer mes misères. J’ai suffisamment bavé contre la télé-réalité et ses vidanges de grands sentiments en direct pour avouer que j’ai mal à la tête, alors raconter un truc aussi invraisemblable, ça tient du suicide social.

    Jeudi
    J’ai trouvé une solution. LA solution, devrais-je dire. Dommage qu’il faille en passer par l’impensable. C’est-à-dire rester assez longtemps en présence de Miss Starfucker (un pseudo, j’espère pour elle) pour lui donner son ordre de mission et ce sans m’énerver, sans avoir des envies d’éteindre ma cigarette sur son 95 D qui déborde invariablement de ses bustiers. Pas évident. Miss Starfucker se prend pour une groupie des années 70, n’a pas encore réalisé que nous sommes au 21e siècle et que rêver de rencontrer des bites célèbres n’est pas une ambition très valorisante. Miss Starfucker appartient à cette race de filles dont les seins se sont développés plus vite que les neurones. Miss Starfucker passe ses soirées à hanter tous les lieux où elle est susceptible de rencontrer des rock stars, à parlementer avec des roadies, des managers et des gardes du corps afin d’entrer backstage ou dans la suite royale. Miss Starfucker dépense une énergie hors du commun pour se faire traiter comme un bout de barbaque par des enfants gâtés capricieux qui ont oublié leur top model-poupée gonflable à la maison en partant en tournée. Et comme elle a buggé en lisant les mémoires de je-ne-sais-quelle-groupie, elle fait des moulages anatomiques après avoir servi. J’aimerais voir ses étagères et le dessus de sa cheminée.
    Inutile de préciser que je n’ai jamais pu avoir une conversation normale avec elle. Nous n’habitons pas sur la même planète. Je la prends pour une bimbo pathétique. Elle me prend pour une conne et une snob.
    Ce soir, pourtant, je la localise dans le bar d’un hôtel où doit traîner une pop star anglaise plate de la fesse qu’elle n’a pas encore à son palmarès. Pour l’amadouer, je lui paye un verre. Je feins d’écouter sa dernière aventure. Puis j’entre dans le vif du sujet. Sa mission, qu’elle acceptera forcément, consistera à mouler LA bouche.
    Miss Starfucker me regarde et je la sens à la limite de l’incrédulité. Ça ginginte, là-haut. Elle jubile dans le fond. Comme si elle m’avait refilé son sale virus. Je ne m’attarde pas. J’ai peur qu’à la longue, elle me considère presque comme une égale.

    Samedi
    D’accord, je n’ai jamais tenu Miss Starfucker en très haute estime, mais là, je dois reconnaître qu’elle a assuré. Elle vient de m’apporter le moulage.
    D’accord, l’objet en question ressemble un peu à ce que je faisais avec les kits Mako quand j’étais jeune, innocente et que je ne fantasmais pas sur des bouches inconnues, mais je suis sûre que d’ici ou une deux semaines, je serai guérie grâce à ce gri-gri de plâtre.

    Dimanche
    Ça fait drôle de se dire que ce plâtre a touché sa bouche.

    Mardi
    Je ne sais plus si j’ai voulu ce moulage pour me débarrasser de mon obsession ou l’envenimer. Pour l’instant, le résultat n’est pas concluant du tout. Je me demande si je ne vais pas demander à un copain artiste de réaliser un moulage en latex qui serait plus réaliste.

    Vendredi
    Même en latex, en résine ou en n’importe quoi d’aussi proche de la réalité que possible, ce moulage-là ne sera jamais ce que je désire vraiment.

    Samedi
    Je sais ce que je désire vraiment. Ce n’est pas très raisonnable. Ni très accessible. Mais qui prétend qu’assouvir ses fantasmes est une partie de plaisir ?

    Dimanche
    Grâce aux précieuses informations de Miss Starfucker, je sais où traîne le propriétaire des lèvres quand il n’exerce pas sa profession de rock star. Je m’y rends. L’air de rien. Dopée au gin pour tenir le choc quand je l’aborderai. Mon plan est simple. Boire avec lui, le ramener à la maison lorsqu’il sera trop bourré pour réaliser que suivre la première venue n’est pas la meilleure idée du monde.
    Les femmes tiennent moins bien l’alcool que les hommes à cause d’une masse graisseuse plus importante. Le jour où j’ai eu connaissance de cette information précieuse, je me suis débarrassée de tout ce gras traître. Qui a dit que boire était complètement mauvais pour la santé ? Ce soir, grâce à ma préparation physique, je vais embarquer les lèvres à la maison.
    Les lèvres et leur propriétaire ne sont pas farouches. Quelques verres et hop, les voilà qui sautent dans un taxi en ma compagnie.

    Dimanche
    Le propriétaire des lèvres n’a pas vraiment paru surpris en se réveillant menotté. En revanche, il a halluciné en constatant qu’il avait dormi tout habillé. Il a voulu savoir ce que nous avions fait ensemble. « Rien, » ai-je répondu. C’est la plus stricte vérité. Je lui dois bien ça.
    Je ne les ai même pas embrassées. A quoi bon ? Je sais que ça ne me suffira pas.

    Lundi
    Rien ne me suffira jamais. J’en ai bien peur. Le visuel, le contact, le toucher. Pas suffisant. Vivre éternellement avec elles ? Non plus. Pas assez intense, pas assez fort. Et puis, il faudrait que je me coltine leur propriétaire. Alors que c’est elles et elles seule que je veux. Pour moi.
    Elles sont toujours là, avec lui, bien sûr. Qui s’impatiente parfois quand il revient à lui entre deux cocktails somnifères-alcool. C’est une petite nature.
    Je crois que je sais ce dont j’ai envie. C’est encore plus déraisonnable que toutes ces choses déraisonnables que j’enchaîne depuis quelques jours. Mais c’est la seule porte de sortie envisageable. Je ne peux plus laisser ces lèvres sortir de ma vie. Déjà que lorsqu’elles sont là, le vide, le manque ne sont qu’à moitié comblées…

    Mardi
    Le résultat n’est pas beau à voir. Tiens, si j’entrais dans ma salle de bains à ce moment-là et que je n’étais pas prévenue, je vomirai.
    Il y a du sang partout. Je ne suis pas très douée en travaux manuels. Je manie mal le coupe-chou.
    Je crois que le propriétaire des lèvres ne reviendra jamais à lui. Et c’est aussi bien. Il n’apprécierait pas beaucoup de se voir dans cet état-là, sans elles au milieu de la figure.
    Je vais les dévorer. Pour les avoir toujours avec moi.

    Mercredi
    Déjà entendu parler d’une végétarienne devenue cannibale ? Vous pourrez répondre oui, désormais. Entre nous, l’expérience a été abominable. Bien moins jouissive que je me l’étais imaginée. Mon corps a essayé de se révolter à plusieurs reprises. Mon estomac a voulu faire la grève. Mes dents elles-mêmes n’ont rien voulu savoir. J’ai avalé ses lèvres sans mâcher.
    Je me sens carrément mal.
    Ce n’est pas psychosomatique. Je tremble. J’ai de la fièvre.
    Je suis allée vérifier sur Internet ce que je soupçonnais. Ce salaud-là n’était qu’un tricheur. Ses lèvres ? De la gonflette esthétique. Collagène ou une autre merdouille synthétique qui est en train de m’empoisonner. Peut-être un de ces produits expérimentaux achetés au Brésil, le pays des cobayes du bistouri.
    Je suis en train de m’empoisonner à petit feu. Je n’ai pas le choix… Je ne peux pas les perdre.
    J’ai posé la tête sur le carrelage de la salle de bains. Dès que je ferme les yeux, je les vois. Elles s’approchent, se penchent vers moi, s’entrouvent.

    Je crois qu’elles viennent de m’avaler.


  3. I’m not there

    juin 11, 2014 by Isabelle Chelley

    Un jour j’ai sorti un livre. Ce n’était pas le premier, mais j’y croyais un peu. Mon attachée de presse a été remerciée par la maison d’édition à peine un mois après, alors qu’elle faisait de l’excellent boulot. Le livre n’a eu quasiment aucune promo et est vite tombé aux oubliettes, malgré mes efforts. Je comptais dessus pour me sortir des galères des piges aléatoires, j’espérais décrocher un boulot correctement payé (oui, je suis une sale matérialiste, j’ai tendance à aimer recevoir des sous en échange de mon travail). Mais rien. Rien du tout. Six mois de boulot à la poubelle, en gros.

    Je me suis promis ce jour là que ce serait le dernier livre que j’écrirai. Jusqu’ici j’ai tenu ma promesse. Je me suis d’abord privée de mon activité favorite. Puis l’inspiration m’a désertée. Ou le goût d’écrire, je ne sais. J’écrivais tous les jours, de façon quasi compulsive depuis mes onze ans. Ça laisse un gros vide à combler. Je l’ignore comme je peux… Je suis très douée pour ignorer.

    Mais plus jamais je ne veux me remanger un échec comme celui-là. Mon reste d’amour propre et mon ego stupidement démesuré par rapport à mes compétences ne le supporteraient pas. J’ai participé depuis à des projets collectifs, je veux bien donner un coup de main, passer les plats, collaborer, mais c’est le maximum. Au-delà de cette limite, je prends la fuite.

    Depuis, je vois passer les bouquins des autres avec envie, c’est d’autant plus dur que je suis entourée de gens créatifs… De mon côté, je me suis persuadée que je ne suis pas créative. Une bonne exécutante, oui. Douée pour traduire les mots des autres, aussi. Pas pour écrire les miens. Je ne considère pas que mes articles soient de la création. Je retranscris ce qu’on me raconte, j’écoute, j’essaie de poser les bonnes questions, j’ajoute un peu de perspective. Mais je ne crée rien du tout.

    Oui, je sais, c’est paradoxal, vaguement débile et nombriliste d’écrire qu’on n’écrit plus. Je ne le fais pas pour qu’on me supplie de ne pas renoncer. Je n’ai jamais été du genre à annoncer que j’arrêtais tout avant de le faire, à partir en claquant la porte dans de grands effets de fumée sortant par les oreilles. Je suis déjà partie en fait et personne ne m’a vue sortir.

    C’est rare que j’écrive quelque chose d’aussi intime. Promis, je ne recommencerai plus.


  4. Last night a DJ…

    mai 6, 2014 by Isabelle Chelley

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    Ceux qui me connaissent dans la vraie vie savent que je suis non-violente. Opposée à la peine de mort. Anti-fourrure, corrida et élevage industriel. Végétarienne. Je suis râleuse, négative, froide, névrosée, oui. Violente non, tant qu’on me fiche la paix. N’empêche qu’hier, j’ai failli tuer un DJ. Quoi qu’en disent ceux qui ont subi les éléments les moins glorieux de la profession lors de mariages et autres réjouissances, tuer un DJ, même le plus mauvais de tous, est un crime. Il serait même passible de prison. Heureusement que je ne sors jamais avec une machette au fond de mon sac. À cette heure, je devrais expliquer à Good Cop et Bad Cop que la victime a réveillé en moi un souvenir pénible.

    Revenons sur les faits. Hier, je suis allée voir Damon Albarn à l’Alhambra. En prenant soin de ne pas arriver trop tôt, puisque le billet avertissait d’un DJ set de Rémi Kabaka. Ok, le gars a déjà travaillé avec Damon Albarn. C’était lui, Russell, le batteur balèse de Gorillaz, le meilleur groupe virtuel de tous les temps. Mais derrière des platines, l’individu le plus talentueux qui soit peut se muer en atroce pète-rouleaux.

    A peine installée dans la mezzanine, j’ai senti que Rémi et moi n’allions pas être potes. Loin de sa batterie, ce garçon est dangereux. Il aime les gros beats. Répétitifs. Lancinants. Les bidouillages abstraits qui provoquent un triple orgasme chez ses confrères DJ, mais qui me laisse, moi, bête amoureuse de mélodies, indifférente, agacée, puis enragée. Je n’ai rien contre les DJ, j’en connais de très bien, je vous assure. Je n’ai rien non plus contre la musique électronique. Mon cerveau n’a juste pas été programmé pour apprécier des beats en boucles et des samples sans queue ni tête.

    Me voilà donc condamnée à subir ce tortionnaire des platines. Si je me lève, comme je ne suis pas accompagnée, on va me piquer ma place, c’est sûr, j’en vois déjà qui louchent dessus. Comme il n’y a pas de réseau, je ne peux pas m’épancher sur les réseaux sociaux (faisant habilement savoir que tralala, je vais voir Damon Albarn après, lalalalère !). Je réalise que je n’ai pas installé Candy Crush ou n’importe quel autre match 3 addictif sur mon nouvel iPhone (oui, j’ai parfois de gros soucis de bobo-enfant-gâtée). Je regarde l’heure. Cinq minutes se sont écoulées depuis que j’ai posé mon séant sur ce fauteuil. Je fouille dans mon sac. Rien qui ne puisse me permettre d’abréger le supplice. Pas même une pince à épiler que je pourrais brandir en hurlant : “Rémi, lâche ces platines, sinon je te bousille sévèrement le sourcil droit !”

    Soudain, violent choc intérieur. C’est le retour du refoulé. Je me revois, il y a quelques années aux Nuits Sonores à Lyon, missionnée par un quotidien pour lequel j’écrivais. Je devais passer la nuit dans une usine désaffectée où Jeff Mills et quelques autres mixaient. J’y étais allée avec l’enthousiasme de Dora l’exploratrice partant à l’aventure, décidée à vivre ça comme une expérience que je ne referais jamais. Effectivement. Un pied dans l’usine et j’ai eu le sentiment d’être dans un enfer taillé sur mesure pour moi. La poussière, accumulée depuis un quart de siècle au minimum, m’a attaquée, me condamnant à ne plus quitter mes Wayfarer, sous peine d’exhiber des yeux de grenouille albinos. Les WC débordaient, à moins que le raveur moyen ne se soulage en dansant. Et surtout, le bar ne servait pas d’alcool. Sous le prétexte douteux que le raveur préfère les energy drinks pour tenir toute la nuit. J’ai bu des choses étranges au cours de ma vie, y compris du vinaigre blanc et du produit vaisselle (pas volontairement, je précise), mais rien de pire qu’un Pepsi Black, mélange de Pepsi et de café, sentant la chaussette humide.

    Évidemment, cette scène apocalyptique était baignée de pulsations sonores faisant vibrer le sol et de strobes à tuer une colonie d’épileptiques. Cette nuit-là, j’ai eu envie de tuer des DJ. D’autant qu’eux, ces pignoufs, avaient l’air de s’éclater comme des petits fous, affichant la mine ravie du clebs venant de se branler sur ta jambe quand ils relevaient le museau de leur console. Le temps semblait ne pas s’écouler. J’avais soif, j’étais cernée d’une nuée de zombies puant la sueur et le faux Red Bull. Lorsque la première navette vers le centre ville est arrivée, j’ai bondi dedans, préférant poireauter une heure dans une gare déserte plutôt que de moisir dans cet enfer. De retour à Paris, j’ai juré de ne plus jamais, jamais, jamais m’y laisser reprendre. Et j’ai enfoui ce souvenir dans ma mémoire. Jusqu’à hier.

    Non, tu n’es pas revenue à Lyon, me disais-je. Bientôt, le méchant monsieur va lâcher ses platines et le gentil Damon va venir. La vision de Marianne Faithfull, se glissant à sa place, deux rangs devant moi, m’a tirée du cauchemar. J’étais bien à Paris. Que foutrait la divine Marianne à une rave, hein ? J’ai entendu des applaudissements saluant la fin du set de mon némésis. Était-ce du soulagement ? De la politesse ? M’en fous. Dix minutes plus tard, Damon Albarn est arrivé. Et au bout d’une 1h45 de concert, si on m’avait proposé de le revoir le lendemain, à condition de me beurrer à nouveau DJ Casse-Bonbecs, j’aurais dit oui.

    En apportant un flingue ou un piège à ours, quand même, au cas où…


  5. Plus jamais ça…

    février 21, 2014 by Isabelle Chelley

    L’album de reprises, cet exercice délicat et casse-gueule, réservé à quelques élus seulement…

    Je n’ai pas pris de bonnes résolutions pour 2014. Enfin, si, mais vous vous en tamponnez le coquillard de savoir que je compte dominer le monde, me mettre au krav maga, passer moins de six heures par jour sur l’iPad et ne plus angoisser parce que les boîtes d’herbes surgelées ne sont pas alignées comme il faut dans le congélateur.

    En revanche, s’il y en a bien une qui pourrait prendre quelques bonnes résolutions, oui même en février, c’est la musique (et comme elle n’a pas de congélateur, elle doit moins flipper sur son rangement). Parce que malgré mon amour pour elle, elle fait un peu n’importe quoi. Elle s’autosaborde en permanence, comme la copine au régime qui alterne frites et carottes râpées. Il faut dire que l’industrie du disque, les musiciens, le public et les médias ne font rien pour qu’elle aille mieux non plus. Mais ce serait tellement fabuleux si en 2014, on éradiquait quelques sales habitudes…

    En 2014, merci d’en finir avec les albums de reprises. C’est sûr qu’il est plus simple de piocher dans le patrimoine que de secouer sa muse pour pondre une malheureuse chanson. Mais a-t-on besoin d’une énième version d’Hallelujah, pompée sur celle du pire nageur de l’histoire du rock ? Ou de classiques de la soul, aseptisés par le trio infernal Vigon Bamy Jay ? Non, même pas pour se servir du CD comme d’un sous-bock (j’en ai de très beaux EN FORME DE VINYLES, alors bon, un CD…). À de très rares exceptions (Johnny Cash, Marianne Faithfull, les Muppets), l’album de reprises dit “j’avais pas d’inspiration, alors je suis allé sur iTunes voir les titres que j’écoutais le plus et j’ai voulu me les réapproprier”. Non, tu ne te les réappropries pas. Au mieux, tu as l’air d’un chanteur de karaoké. Au pire, les fans de l’auteur-compositeur des chansons saccagées se servent de ta photo pour jouer aux fléchettes enflammées.

    En 2014, ce serait merveilleux d’arrêter de jouer aux moutons de cover, bêlant tous au moment des rappels des versions de, au choix, selon les millésimes, Toxic (Britney Spears), Seven Nation Army (White Stripes), Crazy (Gnarls Barkley), Get Lucky (Daft Punk)… C’était sympa une fois. Voire trois, parce que je ne suis qu’indulgence. Mais à présent, merci de trouver mieux pour exciter ma personne blasée. Faites un lip dub sur Gangnam Style qui dégénère en Harlem Shake. Le tout en version flash-mob, à la guitare acoustique, coiffé du chapeau de Pharell Williams. Ou pas.

    En 2014, ayez l’amabilité de ne plus jamais commettre ce crime atroce contre le bon goût qui clame à la fois “je suis un gros égomaniaque qui s’adore” et “j’avais pas d’inspiration alors je suis allé sur mon iTunes et j’ai vu que je n’écoutais QUE MES morceaux”. Oui, j’ai nommé la reprise de sa propre chanson. Je distribue des points supplémentaires dans l’ignominie s’il s’agit d’une version reggae, d’un duo avec la star du moment afin de baigner dans sa lumière et sa sueur, ou d’une revisite collant à la tendance putassière du moment. Reprendre ses propres chansons, c’est aussi glorieux que de coucher avec son ex en bouffant le vieux morceau de pizza coincé sous les coussins du canapé. (l’auteur de la métaphore ex/pizza se reconnaîtra).

    En 2014, les majors pourraient-elles ne plus nous prendre pour des têtards détenteurs d’une planche à billets ? Depuis qu’elles ont constaté que subsiste une tranche de la population achetant du vinyle, elles en ressortent. Au prix du caviar. Parce que, hein, c’est cher, le vinyle, nous dit-on, avec la même morgue que le brocanteur opportuniste du vide-grenier qui tente de nous fourguer ses nanards sentant le moisi. Ah mais comment expliquer les petits prix des petits labels ? Je relève les copies dans deux heures.

    En 2014, les majors, tant qu’elles y seront, devraient mettre fin à leur sale manie de sortir un album et, trois mois plus tard, de le ressortir avec des bonus. En marketing, cette pratique s’appelle l’enculage de fans à sec en leur faisant payer la poignée de gravillons. Ne vous étonnez pas qu’on télécharge les bonus, les gars. Illégalement. En chantant, promenons-nous dans les bois, puisqu’Hadopi n’y est pas.

    En 2014, je souhaiterai enfin que la peine de mort (par immersion dans un chaudron d’huile bouillante ou écartèlement) soit rétablie pour les auteurs de duos virtuels avec des chanteurs défunts. Alors, comme ça, blanc-bec, tu veux faire un duo avec une légende ayant rejoint le pays des têtes en os ? De son vivant, si tu avais quémandé un duo en rampant sur du verre pilé, la Légende t’aurait pouffé au nez avant de lâcher ses gardes du corps à tes trousses. Mais la Légende est morte, ses héritiers exploitent son cadavre et t’accordent, vil pilleur de sarcophages, le droit de faire ce duo vomitif, assorti d’un clip en images d’archives, inspirant comme une pub pour une assurance vie. Toute personne souhaitant à ce point chanter avec un mort ne mérite qu’une chose : qu’on l’envoie vite ad patres. En prenant soin de bien insonoriser le cercueil, au cas où.


  6. This is not a love song…

    février 14, 2014 by Isabelle Chelley

    milk

     

    Ce soir, alors que vous boirez du champagne rosé pour faire passer les huîtres au gingembre ou que, célibataire, vous avalerez une pizza huit fromages à l’ail (tant qu’à n’avoir personne à embrasser, autant y aller avec panache), je serai à un concert. Pas parce que je suis une militante anti St. Valentin. Toute occasion de boire du champagne étant bonne à prendre, il m’arrive de célébrer la fête des amoureux et d’afficher, après deux verres, un air vaguement plus réjoui que Grumpy Cat au réveil un lundi pluvieux. C’est juste que ce soir, il y a Courtney Barnett au Divan du Monde et qu’elle est mon crush du moment.

    N’écoutant que mon altruisme naturel, j’ai pensé à ceux qui tenteront de digérer leur pizza, pris de nausées en zappant entre les 25 comédies romantiques astucieusement programmées à la télé le 14 février. Et si je leur faisais une petite playlist de mes chansons d’amour préférées de tous les temps de l’univers, hein ?

    J’entends déjà le chœur des « oh mais, euh, elle est nulle, ta playlist, il n’y a pas de ballades dessus ». Ben oui, il n’y en a pas. Les jolies ballades avec des paroles sucrées à rendre diabétique le nounours Haribo copulant avec mon Petit Poney dans le repère de la Licorne Pailletée me font perdre la patience que je n’ai pas.

    Mes chansons d’amour préférées appartiennent au registre du tordu, compliqué, ambigu, elles sont truffées d’obsessions, de tensions, de jalousies, sinon ce ne serait pas drôle (dans le lot, il y a des classiques et quelques kitscheries, aussi. Une playlist n’est honnête que si elle contient des inavouables de fond d’iPod). Oui, même que j’ai aussi choisi des chansons de pas d’amour du tout, mais qui en parlent très bien quand même. Love Will Tear Us Apart ou Suspicious Minds, ça en dit autrement plus sur le couple que Barry White haletant que je suis la prems, la dernière et son tout. Attention, il n’y a pas que des ruptures, il y a aussi des histoires d’obsession qui flirtent avec le restraining order et la camisole chimique, comme Superstar ou Eloise. Ou les vrais drames, tant qu’on y est. New York Mining Disaster 1941, son mineur coincé sous terre qui montre une photo de sa femme en attendant d’éventuels secours, ça me fout vraiment le frisson.

    Quant à Jackson, c’est sans doute la chanson de chamaillerie avant la réconciliation dos collé à la porte de la grange la plus chaude que je connaisse. Et I Can’t Decide est un pur plaisir narcissique. J’ai forcément servi d’inspiration aux Scissor Sisters pour le portrait de ce cauchemar sur pattes qui donne des envies meurtrières au chanteur. Ou alors, si ce n’est moi, c’est mon jumeau caché.

    Toutes ces chansons-là en tout cas, ont un point commun : elles évoquent des scénarios et des images, mettent l’imagination en branle et me titillent la région de l’émotion, oui, la petite sous-développée, là-bas, écrasée par les régions névroses, contrôle, obsessions, peurs irrationnelles et passion douteuse pour les mascottes. Et comme le cerveau est une zone érogène, je… Enfin voilà, voilà… Non, merci, je n’aurais pas besoin de gingembre.