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Écoute ce disque…

14 juin 2013 by Isabelle Chelley

Pendant que vous posterez vos burgers aux sushis sur Instagram ce midi, je serai en train de bosser. Enfin… J’écouterai un album. De manière tout ce qu’il y a de plus officielle, entourée de mes éminents confrères et consœurs, tous invités par la maison de disques, communiqué de presse sous le museau, iPad sur les genoux pour prendre des notes (ou lire en douce le New Yorker s’il y a du retard et que je n’ai pas pu m’asseoir à côté de mon meilleur ami dans le métier, il se reconnaîtra)…

Mais attention, il y a autant de types d’écoutes d’albums que de sous-genre de metal au Hellfest… Dans un but éducatif, j’ai décidé d’en dresser une petite liste, en me basant sur mon expérience personnelle en la matière. Toutes ces situations ont vraiment existé. Je n’ai mis aucun nom afin de protéger l’honneur de mon neurone qui les a oubliés en route.

L’écoute de luxe La maison de disques a un budget promo. Et elle tient à montrer que ce disque-là est une priorité. Du coup, elle a invité tout le gratin de la presse rock ou pas, d’internet et même du pas si gratiné que ça (on le repère à l’air interloqué de celui qui redoute d’être vidé à coup de pompes dans le fondement). Il y a du champagne. Et de la bière. Et du vin. On ignore s’il s’agit de chouchouter le journaliste ou de le faire boire pour qu’il soit indulgent. Il y a aussi du manger. Et pas que des chips en paquet familial. En dix minutes chrono, tout le monde est pompette. L’écoute achevée, l’attachée de presse zélée prendra soin de réveiller le vieux briscard ronflant dans un coin, huit coupettes vides devant lui.

L’écoute fauchée La maison de disques est un label indépendant plein de bonne volonté et d’énergie. Elle a convié tout le gratin de la presse rock ou pas, de l’internet et même le pas si gratiné que ça. Au final, nous sommes quinze. Le gratin n’a pas pu venir, bizarrement, il devait avoir piscine. L’attaché de presse (qui est également le boss-adjoint, le chef de produit et le standardiste) file au Franprix et revient avec des packs de bières (pas fraîches), du faux coca, des chips en paquet familial et des pseudo-Haribo. On repère les pigistes web bossant gratos et les stagiaires des rédactions au fait qu’ils se jettent sur la bouffe. L’écoute achevée, l’attaché de presse zélé prendra soin de réveiller le stagiaire ronflant dans un coin, trois canettes vides devant lui.

L’écoute service minimum La maison de disques en a ras-le-pompom du gratin de la presse qui se la joue diva, n’aime pas internet et s’en cogne du pas si gratiné que ça. Elle convie malgré tout ce petit monde en fin de journée dans une salle de réunion lugubre, aérée pour la dernière fois en 1998. Il n’y a pas assez de chaises pour tout le monde. L’assistante de l’attachée de presse propose du bout des lèvres à boire et revient avec une bouteille d’eau et des gobelets plastique. Elle déboule en pleine écoute sans prévenir pour vérifier qu’on prend bien des notes. L’écoute achevée, l’assistante zélée prendra soin de signaler à l’assemblée qu’il est 19h30 et qu’elle rentrerait bien chez elle maintenant.

L’écoute en solo La maison de disques a organisé une écoute en groupe alors que ce jour-là, on avait piscine. Mais comme on doit chroniquer l’album ou faire une interview, on se pointe seule un après-midi et on se retrouve dans le bureau de l’attachée de presse et de ses collègues. Et c’est fou comme on a du mal à se concentrer assise sur une chaise à roulettes, avec en stéréo, l’album et la voix de l’attachée de presse et ses stagiaires en grande conversation avec la moitié de nos éminents confrères et consœurs qui eux non plus, n’ont pas pu aller à l’écoute et aimeraient bien jeter une oreille au disque… L’écoute achevée, l’attachée de presse zélée prendra soin de nous bombarder de questions pour avoir notre avis et, à la moindre de nos réserves, nous dira que Machin (insérer le nom d’un rock critique bien plus prestigieux que nous) a A-DO-RÉ, lui.

L’écoute en studio La maison de disques a décidé d’organiser une colo de vacances connue sous le nom de voyage de presse (je vous raconterais ça en détail une autre fois, c’est très rigolo, sauf pour l’attachée de presse qui finit généralement avec l’envie d’être la star d’un prochain Faites Entrer l’Accusé intitulé La Tueuse de journalistes – Meurtres de masse dans l’univers du rock). Et dans un grand moment de folie, elle embarque quelques privilégiés qui pourront découvrir l’album dans le studio où il a été enregistré et interviewer le groupe dans la foulée. Lâcher une bande de grands ados attardés journalistes de rock dans un studio est risqué. Il y en a qui veulent faire joujou avec les boutons de la console de mixage. Ceux qui vont mater les guitares et les micros. Les fétichistes qui font des photos de tout, y compris du vieux tabouret bancal, parce que, qui sait, Kurt Cobain y a peut-être posé son chétif popotin. L’écoute achevée, l’attachée de presse zélée prendra soin de rassembler ses troupes dissipées et de gronder le sale gosse l’éminent rock critique qui a tenté de jouer Smoke On The Water sur une gratte vintage qui traînait dans le coin.

L’écoute parano La maison de disques a du lourd, du très lourd. Et tient à le faire savoir. D’où l’enclenchement du mode Fight-Club. C’est-à-dire que la première règle de cette écoute est qu’il est interdit de parler de l’écoute. Le gratin de la presse et d’internet est convié (le pas si gratiné que ça n’est pas au courant de toute façon) et averti au préalable qu’il ne doit pas avouer, même sous la torture, qu’il va à cette écoute. Les journalistes doivent signer des liasses documents leur faisant jurer sur l’honneur, la vie de leur éventuelle descendance ou, plus important, celle de leur collection de vinyles, qu’ils ne diront pas un mot au sujet du disque avant sa date de sortie. Frustrés de ne pas pouvoir narguer le petit peuple sur les réseaux sociaux, ils grognent, mais aucun d’entre eux n’enfreindra la règle, de crainte des conséquences allant du bannissement à la déportation sur une planète hostile sans oxygène avec Christophe Maé en fond sonore. L’écoute achevée, l’attachée de presse zélée prendra soin de réitérer les menaces, en insistant sur le fait qu’elles émanent de la maison de disques américaine ou anglaise, équivalent du croque-mitaine croisé de Satan, en plus méchant.

L’écoute en présence de l’artiste JAMAIS. Il n’y a rien de plus stressant que de devoir se concentrer sur un album tout en sentant le regard anxieux de son auteur guettant nos réactions et s’attendant ensuite à un commentaire intelligent et constructif, comme ça, sans recul (« waow, cool, putain d’album, j’ai kiffé ! » n’est pas considéré comme entrant dans cette catégorie). Donc JAMAIS. Plutôt tourner une sex-tape zoophile et la projeter à mes parents et amis les plus proches, le tout pendant un grand week-end au camping (je tiens à préciser que je vomis de la bile fluorescente à la simple vue d’une tente Quechua).


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