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avril, 2018

  1. Tiens, si je postais juste une petite vidéo sur FB…

    avril 20, 2018 by Isabelle Chelley

    Evil_Kermit

    L’histoire qui suit est inspirée de faits réels. Les noms ont été changés pour protéger les protagonistes…

    Après des années à pratiquer les réseaux sociaux, on pourrait croire que j’ai appris certaines règles élémentaires de survie en milieu hostile et trollesque. Et pourtant… il m’arrive de commettre de graves imprudences pouvant nuire à ma santé mentale et à la batterie de l’iPhone. Ainsi, sans réfléchir aux conséquences de mes actes, je me mets à parler musique et là, tout l’enfer se casse lâche, comme on dit en google translate de l’anglais.
    Prenons un exemple anodin. C’est lundi, il il fait un temps à pousser un Teletubby au suicide et me prend l’envie de poster un morceau de pop légère, dansante et sans prétention. On pourrait naïvement penser que c’est moins risqué que de vanter le bienfait des vaccins sur une page d’accros à l’homéopathie crachant sur Big Pharma, mais passé les premiers pouces bleus approbateurs, voici que sortent de l’ombre quelques redoutables personnages.

    “Mais comment tu peux poster ça, braille, derrière son clavier, Dédé Le Puriste du Rock’n’Roll, réprimant des nausées. C’est de la merde ! De la soupe pour minettes ! Comment une fille comme toi peut aimer ça et surtout le poster ?”

    Avant d’avoir le temps de lui expliquer que je fais ce que je veux avec mes cheveux et mon clavier, l’Esthète Pop s’empresse de lui rentrer dans le lard. Et lui expliquer que ce qu’il prend pour de la soupe est en fait un petit bijou, certes populaire, mais extrêmement bien ficelé, et d’ailleurs, le fait qu’un morceau plaise à un grand nombre ne retire rien à sa qualité. “Prends les Beatles, par exemple. C’est de la soupe peut-être ?”

    L’Esthète Pop ne se doute pas qu’il vient de déclencher les foudres de Jean-Mi Underground. Qui n’a aucun lien avec le Velvet du même métal, mais doit son nom au fait qu’il se mue en jumeau de Cthulhu devant tout groupe ayant joué un jour devant plus de 50 personnes et vendu autre chose que ses cassettes auto-produites (dont le son laisse à penser que l’enregistrement a eu lieu sur la piste d’un aéroport un jour de grand départ en vacances).
    Jean-Mi Undergound est catégorique, quoiqu’un brin excessif : “Les Beatles, c’est de la merde en barre. Y rien à sauver. J’aurais été Chapman, je butais les quatre.”

    Au cours de leur échange musclé surgit la Kamikaze qui remarque que, systématiquement, on associe “soupe” et “minettes”. Dédé Le Puriste, qui surveillait les échanges seau de pop-corn à portée de main, lui saute à la gorge. “Oh, ça va, la féministe ! A cause des meufs de ton genre, on peut plus rien dire !” (Cette répartie brillante est applicable à toutes les situations, ce qui n’empêche pas Dédé de s’auto-liker, à la manière du clebs reniflant son pipi avec jubilation.)

    Jaillissant de nulle part, le Chevalier Blanc intervient pour dire que c’est un peu absurde de s’étriper pour un simple morceau de musique, non, quand même ? Il est immédiatement attaqué par les autres qui s’entendent à merveille pour lui dire de bien fermer sa gueule, parce que la musique, c’est un sujet sérieux, voire vital. Vu leur ton, on sent que s’ils en avaient le pouvoir, ils condamneraient le Chevalier Blanc à être enfermé dans un cachot humide avec en fond sonore les compils NRJ Music, volumes 1 à 798.
    “Oh, j’adore ce morceau, merci meuf, ça fait plaisir de l’entendre !” poste Copine Journaliste Musicale avec un gif où Patsy et Edina d’Ab Fab se font un high-five. Dédé Le Puriste like aussitôt. “Oh, salut, moi j’adore ce que tu fais…” Il se fait moucher par Copine Journaliste, pas dupe du plan drague, aussi transparent qu’un bikini blanc mouillé.

    Tandis que ces deux-là échangent des amabilités, un pote de Jean-Mi Underground poste des liens vers ses morceaux. “Tiens, au moins, tu pourras écouter de la bonne musique. N’hésite pas à commenter, hein et si tu peux écrire une chronique, ce serait top, même si on déteste la presse grand public, mais hein, bon, faut jouer le jeu. Et like notre page aussi, tu peux faire tourner auprès de tes potes ?” En cliquant malencontreusement sur un des liens, on entend les premières secondes d’un morceau. Mélodieux comme une boîte de boulons tournant dans un sèche-linge, accompagné d’un solo de tronçonneuse rouillé. Jusqu’ici ronflant à côté comme un bienheureux, mon chihuahua sursaute et se fait pipi dessus d’horreur, tandis que le chat en régurgite une boule de poils de la taille d’un Ewok adulte.

    Tandis qu’on nettoie, Amie Fan de Rock débarque et frôle la fracture du pouce en mettant des smileys hilares sous les postes les plus outragés, au risque de finir sur un rail avec goudron et plumes. Elle est secondée par le Roi du Jeu de Mots qui se lâche et ose les pire calembours, faisant enrager Dédé Le Puriste. Il en perd son Beschrelle et tape des réponses en phonétique et sans assez de voyelles.

    Pote Rocker Balèse annonce qu’il adore la vidéo qu’on a innocemment postée. Et qu’il a tous les disques, d’ailleurs. Dédé est choqué, mais se tait. Jean-Mi Underground hésite à se pendre avec sa skinny tie. La Kamikaze refait alors un piqué. “Ah c’est marrant, quand c’est un mec qui dit qu’il aime, là, vous fermez vos gueules, hein ?” L’Esthète Pop signale que lui aussi a dit qu’il aimait. Dédé et Jean-Mi lui retombent sur le poil tout en expliquant à la Kamikaze que même si on ne peut plus rien dire maintenant, ils espèrent bien qu’elle croisera la route d’un criminel sexuel sadique et en manque, mais que, vu comment elle est moche, même un sanglier en rut ne voudrait pas d’elle.

    Ayant fini mon ménage express, je me coiffe d’un casque bleu et j’interviens en mode léger-mais-ferme. “Eh, on se calme. Je vous rappelle que c’est MON mur. Si vous avez envie de vous injurier et de vous menacer, merci d’aller faire ça ailleurs.”

    “T’aka pas posté ici si tu veut pas de coms !” répond Dédé, très en verve, décidément.
    “On s’engueule pas, on discute !” ajoute Jean-Mi.
    “Eh, tu n’as pas aimé les morceaux de mon groupe ? Et ma page ? Tu n’as pas encore liké ma page !”

    Il est 18h. On est toujours lundi. Il fait toujours un temps à provoquer un suicide de masse au pays de Mon Petit Poney. D’une humeur de pit-bull enragé, je décide de supprimer la vidéo. Et ses commentaires.
    Une semaine plus tard, après une campagne assidue du pote de Jean-Mi Underground au sujet de son groupe (dont je n’ai toujours pas liké la page), je reçois un message de ce bon vieux Dédé : “Ben alors, tu ne postes plus de musique… C’est chiant… Facebook, c’est fait pour partager nos goûts…”