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2016

  1. Disquaire day – Avec qui y aller… Ou pas.

    avril 15, 2016 by Isabelle Chelley

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    Oui, petit Scarabée, ce visuel tout pourri a été réalisé par moi-même, avec mes moufles. 

    Chaque année, après avoir dépensé son budget vacances en vinyles, on se promet, comme après une gueule de bois de compétition, qu’on ne recommencera pas. Et l’année suivante, on dresse la liste de disques à acheter, on s’organise un circuit entre parcours du combattant et séjour planifié par l’Association des Hyperactifs Cocaïnés et on se lève, un samedi matin, à une heure ridicule, ce qui nous contraindra à boire des litres de café pour garder les yeux ouverts (et mettra notre vessie à rude épreuve, puisqu’il n’y a pas encore de wc chez les disquaires).
    Et pour ne pas avoir l’air d’un obsessionnel compulsif tout seul, le mieux est d’aller traquer le vinyle en bande. Histoire de se rassurer en se disant qu’on n’est pas forcément le plus affligé…

    Petite liste des copains, potes et autres vieux brancards à embarquer avec soi (ou pas) le jour D.*

    Le Collectionneur Maniaque : Même en étant atteint de TOC, on passe pour banal et sans histoire à côté de lui. Le Collectionneur Maniaque est déterminé à TOUT AVOIR sur son groupe ou artiste ou label favori. Mais en prime, il le lui faut en trois exemplaires : un à écouter, l’autre à garder dans son emballage et le dernier à stocker en sécurité au cas où sa collection serait détruite par une catastrophe naturelle, une attaque nucléaire ou une invasion de zombies extraterrestre mutants en Desigual. Son budget pour Disquaire Day pourrait contribuer au comblement du déficit de la Sécu. A-t-il kidnappé le petit bonhonne Cétélem ? Tué sa vieille tante à héritage ? Mystère…

    Le Spéculateur : Les disques, il s’en cogne comme de sa première tétine. Ce qui l’intéresse, ce sont les cotations sur Discogs, qu’il compulse comme les cours de la bourse. Il a repéré les collectors les plus recherchés, va se jeter dessus avec la délicatesse d’un pit-bull affamé boulottant un enfant en bas âge et filer aussitôt chez lui les revendre pour des sommes obscènes. Enfin, si sa copine a terminé de mettre sur eBay les vêtements de la collection capsule H&M de ce styliste super tendance…

    Le Blasé : Il n’est là que dans un but : vous faire comprendre que vous êtes tous des gogos, bernés par une opération tristement commerciale visant à vous faire acheter des disques à prix exorbitants. Ses phrases favorites ? « Pff, Disquaire Day, c’est mort, les majors ont tout récupéré », « Pff, Disquaire Day, c’était mieux avant », « Pff, la plupart de ces glandus qui achètent des disques n’ont même pas de platine pour les écouter », etc. Comme il reste planté là, tel un portemanteau sentencieux, on y accroche notre tote-bag surchargé de vinyles pendant qu’on plonge dans un énième bac.

    Le Loser : Il arrive à la bourre parce qu’il a pris le seul métro dans lequel Colis Suspect a décidé de faire une apparition surprise. En conséquence, le super collector top moumoute qu’il convoitait a déjà été raflé par le Collectionneur Maniaque ou le Spéculateur. Ignorant les moqueries du Blasé, il file chez le disquaire suivant où un copain lui a signalé qu’il restait un exemplaire de son Graal. Une fois sur place, après une demi-heure de queue pour payer, il constatera qu’il a perdu sa carte bleue. Et comme son portable est déchargé, il ne pourra même pas appeler un ami serviable pour le dépanner…

    Le Fauché : Comme son nom l’indique, il n’a pas un sou, mais il a tenu à venir. Par masochisme ou pour faire du shopping virtuel. Il regarde les étiquettes avec l’air d’un orphelin mal nourri de Dickens léchant la vitrine d’une boulangerie, puis pousse un petit soupir douloureux en reposant l’objet de son désir, sous l’œil indifférent du Spéculateur et celui, méprisant du Collectionneur Maniaque. Le Blasé viendra à son secours : non pas en le dépannant d’un billet, mais en lui disant que « Pff, Disquaire Day, laisse tomber, c’est une arnaque. »

    L’Encombré/encombrant : Il arrive muni au choix d’une valise à roulette, d’un sac de sport XXL, d’une poussette char d’assaut garnie d’un petit humain que la vue des vinyles fait hurler, voire de tout cela à la fois. Initialement, on ne sait pas quoi faire de lui, à part le laisser sur le trottoir devant le disquaire, en espérant qu’on ne le prenne pas pour Colis Suspect. Mais très vite, on saisit son potentiel. Lui, c’est un bélier humain, un moyen efficace de se frayer un chemin dans les rayons encombrés de collectionneurs frénétiques, obligés de s’écarter pour ne pas voir leurs Stan Smith écrasées par ses roulettes. L’an prochain, on lui demandera de venir avec une glacière garnie de bières en prime, tiens…

    L’À côté de la plaque : Il n’a pas compris le principe de Disquaire Day. Il pense qu’il s’agit d’une brocante et hallucine devant les prix. Et puis, lui, en plus, il préfère les CDs aux vinyles. Le Blasé est ravi : il va pouvoir enfin expliquer le principe de l’opération à quelqu’un tout prêt à l’écouter…

    Le Personal Shopper : Il est venu pour avec une liste de trois pages de disques à acheter pour des copains qui n’ont pas pu être là, pas eu envie de se lever ou de faire la queue. Mais comme il est serviable, il va passer sa journée à fouiner pour eux, à envoyer des SMS pour leur dire qu’à l’inverse de Bono il a trouvé ce qu’il cherchait et à se faire engueuler parce que 15€ pour ce split single, c’est n’importe quoi, enfin, tu aurais pu t’en apercevoir, non ? Il mettra ensuite des semaines à se faire rembourser. La rumeur veut que le Spéculateur utilise parfois ses services. Son unique allié en cette journée stressante est l’Encombrant, sur la poussette duquel il se déleste de quelques kilos de vinyles au cours de son ingrate épopée.

    Mr Bon Plan : Il est aussi indispensable à la réussite de la journée que les trois tote-bags vides qu’on trimballe dans l’espoir de les remplir de disques. Comment fait-il, on l’ignore, mais cet individu d’apparence normale, est une mine de renseignements qu’il adore partager. Il sait où se trouve le super collector top moumoute que recherchent le Loser, le Collectionneur Maniaque et le Personal Shopper, il a en tête les horaires et les lieux des showcases les plus sympas. Mieux encore, il est copain avec un des disquaires qui propose à l’Encombré de lui stocker sa valise pendant qu’il fait sa plongée dans les bacs et il connaît une boutique où le matin, on offre du café et du cake et de la bière dans l’après-midi. C’est une sorte d’App vivante, donc. Qui marche même quand la batterie de l’iPhone a décidé de lâcher l’affaire…

    Le blogueur disques : Pour lui, l’essentiel n’est pas d’acheter et d’écouter les disques, mais de le faire savoir. Il live tweet sa journée dans les moindres détails, poste des pochettes sur Instagram, met à jour son statut Facebook toutes les dix minutes et répond avec virulence aux commentaires des trolls (on soupçonne que le Blasé s’est créé un faux profil, rien que pour lui pourrir son shopping). Il tente de négocier des réductions en balançant son nombre de followers. Rien ne l’arrête. Sauf la panne de sa batterie de téléphone et de celle de secours. Quoique… Mr Bon Plan lui indique une prise, là, dans le coin, derrière la valise de l’Encombré, où il pourra recharger l’engin.

    Comment ? Vous n’avez aucun de ces spécimens dans votre entourage ? Pas grave. Faites comme moi. Choisissez une poignée d’amis, de vrais. Embarquez-les avec vous. Ça fera des souvenirs. Comme cette pile de vinyles rares en édition limitée que vous venez d’acheter. En vous jurant que l’an prochain…

    *J’ai tout mis au masculin, mais bien entendu, il y a des équivalents féminins de cette galerie de personnages.


  2. People stared at the makeup on his face…

    janvier 12, 2016 by Isabelle Chelley

    Je ne vais pas revenir sur son influence sur la musique, la mode, l’art… Ni sur sa mort, survenue deux jours après la sortie d’un album touffu, ambitieux, fascinant. Ni sur sa vie, ses métamorphoses, sa capacité à se renouveler, à aller où personne ne l’attendait, à refuser de donner au public ce qu’il voulait.

    Hier, j’ai été dans le déni. Tout en me disant que j’étais un peu ridicule de pleurer sur un homme que je n’avais jamais rencontré de ma vie, que je ne connaissais pas, si ce n’est par ce qu’il avait bien voulu nous donner, à nous, ses fidèles. Et je me suis mise à dresser la liste de ce qu’il m’avait apporté. Je sais qu’aucun artiste n’a eu un tel impact sur ma vie. Pas à ce point.

    Si je n’avais pas reçu cet album – et pas son meilleur – à 15 ans, que je n’avais pas voulu en savoir plus sur lui, que je n’étais pas tombée, coup de bol, sur deux biographies, l’une signée Gilles Verlant, l’autre Jérôme Soligny (who else ?) pour satisfaire ma curiosité, je ne serais sans doute pas là, à écrire sur la musique. J’aurais probablement aimé d’autres groupes et, une fois arrivée à l’âge adulte (sans lui, j’aurais peut-être grandi, qui sait ?), je serais passée à autre chose, j’aurais cessé d’acheter des disques, de lire des bouquins sur la musique et d’organiser une partie de ma vie autour de ce qui est devenu une passion. Mise parfois en veille, jamais très loin.

    En vrac, il m’a d’abord fait découvrir à un âge impressionnable le glam, Bolan, Lou Reed, Iggy, le Velvet, Warhol et sa Factory, la décadence, l’ambiguïté et la séduction fatale de l’androgynie. Il m’a fait comprendre qu’on pouvait aimer les garçons & les filles. Je le soupçonnais, mais s’il le validait, c’était tellement plus facile de s’accepter. Il a fait exploser toutes mes conceptions sur la musique et mes goûts présumés. Oui, je pouvais aimer la pop, le rock, mais aussi la soul, la musique électronique, les expérimentations en tous genres. Et tant que j’y étais, pourquoi ne pas non plus m’intéresser à d’autres formes d’art ? C’était l’une des rares pop stars à parler de sa passion pour les livres, le cinéma, les musées. A semer en permanence des pistes dans ses interviews, invitant ses fidèles à élargir leurs horizons. Soudain, me trimballer en permanence avec un bouquin dans mon sac devenait cool et acceptable. Je n’étais plus la première de la classe, j’étais sa disciple en quelque sorte…

    Bien plus tard, quand j’ai appris à me foutre du fait d’être cool ou pas, il est encore venu à mon secours. J’ai souvent plaisanté sur le fait que notre vrai point commun – la schizophrénie d’un très proche – était celui dont je me serai bien passée. J’ai fini par me faire tatouer sur l’épaule droite des paroles en hommage à son frère. Dans l’espoir, un jour, d’accepter que rien ne serait plus pareil entre ma sœur et moi. Et pour me forcer à en parler à ceux qui liraient cette phrase, pour m’alléger un peu de ce poids. Ok, pensée magique, idolâtrie adolescente de ma part sans doute. N’empêche. À la longue, je crois qu’il m’a aidée. Ne serait-ce que par cette sorte de connivence entre nous. Qui n’existait que dans mon esprit.

    Il a aussi foutu le bordel dans ma vie et dans ma tête. Transformé la fille obsédée par l’idée de ne déplaire à personne en rebelle rebelle, cheveux teints et maquillage post-glam à faire fuir le spectre de Bolan inclus. Comme le temps, il a pris une cigarette, me l’a mise dans la bouche et… Je n’y peux rien si je ne le trouvais jamais aussi séduisant qu’en train de fumer. Il m’a empêchée de suivre la voie toute tracée que j’aurais dû emprunter, longues études, job stable, etc. Il a libéré le freak, le petit monstre qui sommeillait en moi.

    Il m’a rendu plus curieuse. Moins conne. Tellement plus cultivée.

    Il m’a empêchée de mourir d’ennui en intégrant le rang.

    Il me laisse un grand vide, là.