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‘Histoire orale’ Category

  1. Dis, Silvère, raconte-nous tes Tambours du Bronx

    avril 20, 2017 by Isabelle Chelley

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    (photo : archives de Silvère)

    Un jour, au détour d’une discussion avec notre ami Silvère, il a évoqué son passage par les Tambours du Bronx. Nous nous sommes promis d’en reparler un soir, autour d’un verre, d’en tirer une petite histoire orale et parfaitement subjective. Il s’agit de la première partie. La suite viendra si vous avez le courage de vous taper un long read ici…

    S’il fallait présenter les Tambours du Bronx à ceux qui ne les ont pas connus, comment les définirais-tu ?

    En préambule, je voudrais dire que tout ce que je rapporte ici sont mes souvenirs à moi, avec 25 ou 30 ans de recul Ce sont mes impressions. Si tu en discutes avec un autre, il aura les mêmes souvenirs, mais notre lecture de la chose sera différente. Trente ans plus tard, ma vision est super jolie et elle ne l’a pas toujours été, je suis content et fier de cette période et de mes amis. Et ma façon de la raconter, c’est la mienne.

     Avant tout c’est une bande de potes, c’est né comme ça. Des passionnés de rock’n’roll qui avaient tous un peu le même look, qui traînaient dans le même bar, avaient les mêmes habitudes, roulaient avec les mêmes voitures. Ça se passait à Nevers, le bar s’appelait le Broadway, il y en avait un deuxième, le Pub, qui existe toujours, mais le Broadway était le bar des rockers.

    Ce qu’il se passait dans les BD de Margerin, c’était notre quotidien. J’ai intégré la bande vers 1982-83, mais il y avait déjà un noyau important avant. Cette bande était presque caricaturale, roulait en DS, portait des Perfecto, des 501 et des santiags, écoutait Renaud dans la bagnole… Pas moi, je n’ai jamais été fan. Il y avait beaucoup de rock’n’roll, bien sûr, des relents de hard rock… On faisait tout ce que faisaient les bandes dans les années 1980. On sortait ensemble, on allait aux concerts ensemble, parfois il y avait des bastons ensemble. J’ai vu une fois la bande au complet, à un concert du groupe de hard rock d’un des membres, il devait y avoir 70-80 personnes.

    Il y avait un des noyaux, qu’en simplifiant, j’ai appelé les « intellos », c’est-à-dire les plus musiciens, les plus engagés, les plus capables d’organiser des choses. Dans ce noyau-là, un d’entre-nous, qui s’appelait Jojo, a passé l’été 1987 à voir tous les membres de la bande, un par un. Il était en fac de psycho à Rennes et rentrait après avoir eu sa licence. Il a donc passé l’été à faire le tour de la bande en disant, j’ai une idée, une histoire de groupe, je suis sûr que ça peut marcher.

    C’est devenu un gag récurrent, mais cet été-là, il a dit, dans un an on fait un plan mondial. Quand il est venu me trouver, je bossais à la piscine de Nevers, j’étais en maillot de bain, j’avais les pieds dans l’eau et j’ai entendu sa voix derrière moi. Ah Silvère, j’ai une idée d’un spectacle, d’un groupe avec la bande, ça te branche ? Ma seule réponse a été : est-ce que les autres y sont ? Il m’a dit, oui, il y a déjà Box, Pogo, Rascal, etc. Je ne savais pas de quoi il parlait, j’entendais à moitié ce qu’il me racontait, mais si la bande y est, j’y suis, voilà !

    On avait rendez-vous le samedi suivant pour qu’il nous explique, mais je venais, puisque la bande y était.

    Il a passé les deux, trois jours avant le samedi à récupérer les bidons dans les garages aux alentours. Je pense même qu’il en a piqué un ou deux dans des jardins qui servaient de réservoir d’eau. Il a ramené tout ça au lieu de rendez-vous, un lieu qui s’appelait la Maison des Montots. C’était une maison de quartier avec une salle de spectacle dedans, un lieu très brut tout en béton.

    Le samedi arrive, on se retrouve dans cet espace vide, on est 22 blousons noirs, c’est comme ça qu’on nous appelait, avec des manches de pioche et des bidons. Tu mets des manches de pioche dans les mains de quelqu’un et forcément, il va taper devant ce qu’il a devant lui. Tout de suite, comme on était tous plus ou moins musiciens – j’étais bassiste, il y avait 2-3 batteurs, autant de guitaristes – un morceau a démarré qu’on a appelé « Locomotive ». C’était juste une accélération. On l’a enregistré sur le deuxième album. Mais c’était le premier morceau, du premier soir, fin septembre 1987, je crois.

    On s’appelait la bande de Vauzelles, du nom d’un patelin, Varennes Vauzelles, c’est la banlieue de Nevers, construite au 19e siècle autour des ateliers de réparation des locomotives à vapeur, sur le même modèle que les corons. Des petites maisons alignées avec des rues toutes droites, la cité ouvrière typique du 19e siècle. Les ateliers existent toujours, ils s’occupent des machines diésel. Le noyau dur de la bande venait de là, moi je n’en étais pas, mon père a eu un parcours différent. C’était des fils d’ouvriers qui avaient travaillé dans ces usines. Certains d’entre nous bossaient là l’été.

    On se retrouve donc avec le projet de Jojo, le premier chef des Tambours du Bronx, le seul que j’ai connu et tout de suite, on a senti qu’il se passait quelque chose. C’était tellement puissant, tellement évident… Et puis, on était une vraie bande, comme on pouvait en voir dans les années 1960, avec tout ce que ça peut avoir, le look, les voitures, les bastons, les fêtes, le repère, ce bar, le Broadway… Les gens qui n’était pas lookés rock’n’roll, teddy boy, punk etc. n’osaient pas y entrer. Pas que c’était interdit bien sûr… On en a vu des dizaines ouvrir la porte, voir tous les mecs avec des crêtes, des bananes, des blousons noirs et décider d’aller boire un coup ailleurs. Mais le patron ne s’en plaignait pas, on était de gros consommateurs, il avait la bonne clientèle pour que le bar marche !

    En tout cas, ça s’est fait comme ça, tout seul. Quand Jojo était en fac à Rennes, il avait vu les Tambours du Burundi aux Transmusicales. Il y a un chef au milieu, un demi-cercle de musiciens autour et tout de suite, il s’est dit, ça avec mes potes, on le fait. Je lui reconnais une grande partie de la paternité de l’idée, mais après, plein de choses sont nées de tout le monde, évidemment. Le point de départ, c’était ça, avec en amont, cette bande de potes heureux de faire quelque chose en plus. Et on se disait aussi qu’avec ça, on pourrait aller dans tous les festivals gratos. Notre intérêt c’était de voir des concerts, boire des bières, draguer des filles. Genre, rockn’n’roll basique.

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    On a fait nos premiers concerts autour de Nevers. Il y a un festival de rock, Nevers A Vif, qui vient de fêter ses 30 ans. Je crois que c’était la toute première année ou la deuxième, 1988… On a dû faire un de nos premiers concerts là. On a aussi joué dehors au festival de courts-métrages, De Nevers à l’Aube, parce qu’on connaissait tout le monde. C’est une petite ville, tous les acteurs culturels étaient nos potes. D’ailleurs, Nevers A Vif était organisé en grande partie par des membres de la bande. On a très vite été invités à jouer dans le patelin d’à côté. Et puis, on a fait 2-3 coups bien pensés… On n’était pas discrets, c’est le moins qu’on puisse dire. Bourges étant à 70 kilomètres de Nevers, on a décidé, la première année où on a eu un bout de répertoire, genre, une demi-heure, trois-quarts d’heure, d’aller au Printemps de Bourges pour jouer dans la rue.

    Donc, toutes les DS se garent, un pote avait chargé les bidons en vrac dans son camion… Quatre-cinq mecs patibulaires sortent des voitures avec des manches de pioche, déchargent des bidons et les installent devant la Maison de la Culture de Bourges où il y a les bureaux du Printemps. Et coup de bol, c’est à ce moment-là que Jack Lang, le ministre de la culture de l’époque arrive, suivi par son service d’ordre et toutes les caméras. Ce n’était pas prévu, on ne savait pas qu’il était là. Evidemment, les caméras se sont tournées vers nous, ça s’est très vite su…

    Et cette année-là, en 1988, Serge Gainsbourg faisait un documentaire sur le festival et il a craqué pour ces mecs qui n’étaient pas programmés et s’imposaient. On a gardé ce côté-là très longtemps. On arrivait quelque part en disant, on va jouer là, et on nous répondait, non, non ce n’est pas prévu. Et on disait, on n’a pas demandé si on pouvait jouer, on vous prévient qu’on va jouer là, vous nous dites à quelle heure on peut y aller et c’est tout. On l’a fait pour le festival de l’Ile Aucard à Tours, au moment de la fête de la musique, je crois. On a loué un bus de 60 places, on a débarqué avec toute la bande, le groupe et les bidons, tout le monde a participé aux frais, pour aller faire la fête à Tours. Il y avait un chauffeur pour qu’on puisse boire. On arrive là-bas sans avoir appelé avant pour demander si on pouvait venir. Et les organisateurs ont vu débouler 60 blousons noirs poussant des bidons, avec des manches de pioches à la main. On a vu arriver un mec tout blanc, terrorisé, qui a dit, mais vous êtes qui, vous faites quoi ? Il s’imaginait qu’on était des Hell’s Angels venus foutre la merde. On lui a répondu, ne vous inquiétez pas, on est un groupe, on vient pour jouer. Tu nous dis quand on joue, mais on va jouer donc autant que ça se passe bien. En fait, ça les a arrangés, on a joué pendant les changements de plateaux. On avait prévu de faire ça cinq fois dans l’après-midi… La cinquième fois n’a jamais eu lieu parce que tout le monde était saoul et dormait dans le gazon.

    A quel moment le nom s’est imposé ?

    Tout de suite. Les Tambours du Bronx, c’est pour résonner comme les Tambours du Burundi. Le Bronx, c’est ces petites maisons alignées, comme dans cette banlieue populaire de New York où il n’y a pas de grands immeubles. On avait notre Bronx à nous, on l’avait surnommé comme ça dans la bande. Et c’était en opposition au Broadway, le bar des rockers qui était dans le centre-ville de Nevers. Le nom, on ne l’a pas choisi, il s’est imposé entre l’écho avec les Tambours du Burundi et l’opposition avec le Broadway, qui était notre maison, on y habitait toute l’année…

    Ça c’est la naissance, la première formation du groupe. Elle a beaucoup bougé au tout début. Il y avait un noyau dur qui s’est imposé tout de suite, d’une douzaine ou quinzaine de personnes. Et quelque part, on n’avait que ça à foutre, franchement. A part faire les cons avec nos copains, c’était notre seule motivation. Là, on pouvait faire les cons avec les copains mais loin, dans la ville d’à côté, puis de plus en plus loin. Autour de ces 12-15 personnes, ça a beaucoup bougé. Le groupe se composait d’environ 20 musiciens sur scène. Beaucoup ont essayé, ça ne leur plaisait pas ou ils ne s’intégraient pas à la bande. On était des grandes gueules. Et c’est fermé, une bande. Le groupe est né en 1987, la bande existait depuis bien plus longtemps. Ceux qui étaient dans la bande avant la création du groupe étaient d’office là. Et ceux qui venaient se rajouter devaient presque s’intégrer à la bande avant le groupe. On a mis les 25 grandes gueules de la ville dans le même groupe…

    Le noyau dur s’est vite fixé, c’était en gros les plus musiciens des membres de la bande. On avait tous des groupes à côté… Deux ou trois autres membres de la bande ont essayé, mais ils étaient déjà embarqué dans un bout de vie professionnelle, alors que nous, on ne bossait pas. A l’époque, j’avais 25 ans, on n’était pas des gamins.

    On a fait tellement de grosses conneries ensemble qu’on se disait que le groupe, c’en était une de plus. Voilà le genre de blagues qu’on faisait : dans notre bar le Broadway, tous les samedis, comme dans toutes les villes de province, on entendait régulièrement passer les cortèges de mariages qui klaxonnaient, faisaient le tour de la ville trois fois, etc. Ils nous faisaient chier à klaxonner comme ça, on a décidé que nous aussi on allait se marier et klaxonner. On a organisé un mariage dans la bande. L’un de nous s’est habillé en fille, Pogo, mal rasé mais en robe blanche, et l’autre c’était Dodol, qui s’était mis sur son 31. On a tous briqué les DS, l’un de nous avait une Traction, un autre une Cadillac, ils les ont sorties pour l’occasion. On a tous mis nos plus belles santiags, les redingotes, les perfecto, et c’est parti. On a tourné dans la ville tout l’après-midi. On a fait un vrai-faux mariage puisque la Maison des Montots, où on avait répété la première fois, est une ancienne chapelle des années 1960. L’un de nous a mis un col de pasteur et marié les deux potes.

    A Nevers, tous les mariés se font photographier sur les marches du palais ducal, en plein centre-ville, qui fait partie des châteaux de la Loire. On l’a fait aussi. Avec toute la bande, nos copines, en faisant des grimaces sur la photo. C’était le genre de blagues qu’on faisait, c’était gros, mais tout le monde suivait. Notre but, ce jour-là, c’était juste de klaxonner dans toute la ville, nous aussi on a le droit.

    Une autre chose nous a beaucoup rassemblé. On a vécu, comme toutes les bandes de potes dans les années 1980, beaucoup de bastons parce qu’on faisait partie de ces gens qui ne s’en allaient pas quand ça chauffait. Je ne serai jamais rentré dans cette bande de mecs s’ils avaient été des fouteurs de merde. On s’est régulièrement tapé des équipes de bucherons, de rugbymen, des mecs qui aimaient quand il y avait du répondant, mais c’était bon enfant. Il n’y avait jamais eu de skinheads à Nevers, c’était radical, les mecs étaient immédiatement cernés et repérés et on allait leur dire de dégager d’ici. C’était notre ville, c’était rock’n’roll. Il n’y avait pas de règles écrites, on était potes, on se respectait.

    Pour en revenir à cette grande bande… A un moment, le président des Narmwat Rockracers, un des membres de la bande qui a monté un club de bikers, avait acheté un bar, le Bar des Tilleuls, dans lequel il organisait régulièrement des concerts. Et le festival Nevers à Vif, c’était 5-6 d’entre nous qui faisaient partie de l’organisation. On était plusieurs à avoir pris ça en main, à s’occuper des artistes. On était tous très actifs que ce soit avec les Tambours ou nos autres groupes. J’étais bassiste des Chasmbrats avec lequel j’ai fait un disque chez Closer Records en 1989. Tout ça, c’était pour arrêter de se plaindre qu’il ne se passe rien dans cette petite ville. Il n’y avait jamais de concerts de rock, on faisait des bornes pour en voir, on allait à Clermont-Ferrand, à Paris. Avec la bande, en 1982 ou 83, on est tous montés à Paris voir Clash à l’Espace Balard. On faisait des sorties comme ça. On a commencé à se dire qu’on allait organiser des concerts, entre les membres de cette bande plus deux ou trois autres, dont un garçon important, Jean-Michel Marchand qui a été longtemps le programmateur de Nevers à Vif et d’une radio libre de l’époque, un mec super, on s’est tous retrouvés autour de lui pour cette histoire de festival. Je fais des digressions, mais tout ça, c’est les mêmes gens, la même histoire ; les Tambours, c’est une aventure d’une bonne partie des membres de cette bande-là. Et on fait nos premiers concerts à l’arrache dans la région, on nous payait pas. Au début, l’idée c’était juste de payer l’essence des DS et les bières. Puis très vite, on est allés à Bourges, ça a marqué tout le monde, et l’année suivante, on était sur la grande scène pour notre concert. Ça a décollé en deux ans.

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    Et l’impératif d’image, il apparaît quand ? Le groupe avait de la gueule, même si ce n’était pas calculé…

    On était habillés comme ça tous les jours. C’était nos fringues. J’avais une paire de pompes, mes santiags, deux 501, et un perfecto. C’était tout. On s’est juste un peu bataillé au début. Moi, ce côté uniforme m’emmerdait un peu. On avait décidé de tous porter des t-shirts noirs. Pendant longtemps, j’ai résisté, je mettais des t-shirts d’autres couleurs alors que je ne porte que du noir juste parce que j’étais rebelle au milieu des rebelles. Ça me faisait chier de mettre un t-shirt parce qu’on me le demandait. Mon perfecto, je n’avais que ça, mais le t-shirt, je prenais le premier de pile et tant pis s’il n’était pas noir. J’ai résisté jusqu’au moment où j’ai compris que c’était vachement plus joli si on était tous en noir.

    Un jour, on fait un Champs-Elysées avec Drucker, c’était en direct à Grenoble. On arrivait la veille pour faire le filage. On est accueillis un peu froidement, on était devenus à la mode et il fallait qu’on fasse des télés… On nous confie à une assistante qui devait s’occuper de nous. Elle nous montre les loges qui n’étaient pas bien du tout, alors on s’est mis où on voulait. Et elle nous dit : et pour vos costumes de scène ? on est restés très sérieux à se regarder en disant « merde j’ai oublié mon costume de scène ? Et toi, tu as le tien ? » Tout le monde a rebondi là-dessus et la fille a dit, ah oui, vous êtes vraiment cons…

    A Grenoble, il y avait à l’époque un chapitre Hell’s Angels et les mecs étaient techniciens sur le montage du plateau, etc. On a bien sûr fini avec eux dans leur local, à faire le concert qu’on n’avait pas pu faire dans l’émission. On était frustrés d’être venus là pour ne jouer qu’un seul morceau. Dans l’émission, c’était trop cadré, alors qu’on ne chronométrait rien. Les mecs nous faisaient des signes désespérés pour qu’on arrête. On a dit aux Hell’s Angels, c’est simple, on veut jouer, vous posez deux caisses de bière au milieu de votre local, on joue un concert entier. Qui était facturé quelques dizaines de milliers de francs à l’époque. On l’a fait pour deux caisses de bière, parce qu’il fallait que ça sorte.

    Et il y a eu des moments très forts, comme les fameuses deux grandes fêtes : le centenaire de la Tour Eiffel organisé par Chirac et le bicentenaire de la révolution. On était dans ce défilé pour représenter la révolution industrielle, c’est pour cela qu’il y avait cette locomotive. Et ça venait de chez nous.

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    Jean-Paul Goude était chargé d’organiser ce spectacle. On lui a proposé le projet deux ans avant et pendant un an, des gens lui apportaient des infos, des troupes, des spectacles de rue. Il avait des assistants pour trier, aller voir des spectacles dans le monde entier, c’était open-bar, les fonds étaient illimités. Il devait y avoir 2000 Chinois, mais ça a été annulé à cause de Tien An Menh, il y avait des Ecossais, des Sud-Africains, des gens de partout.

    Et Goude reçoit notre vidéo sur VHS. Le caméraman, c’était le comptable du festival Nevers A Vif et il a bricolé des images avec une caméra familiale. On ne pouvait donner ce clip à personne parce qu’il avait fait un montage avec des images de La Bataille du rail, on jouait le morceau « Locomotive », qui est une accélération et à la fin ça explose. C’était la grande époque de MTV, on savait qu’on devait avoir des images qui circulent. Et on avait une gueule, un look, on avait vite compris qu’on devait le montrer. Il avait fait ce clip, qui était inutilisable parce qu’on n’avait pas les droits de La Bataille du rail. En privé, on pouvait en faire ce qu’on voulait et on cherchait des concerts avec cette vidéo.

    En la voyant, Goude nous a raconté qu’il s’est dit, ça on le fait ! C’est-à-dire, on fait construire une locomotive par des décorateurs de cinéma : les mecs étaient allés jusqu’à faire les coulures de rouille sur les rivets… Elle était si réaliste qu’on a dû taper dessus pour vérifier qu’elle était en bois ! Ça s’est fait aussi simplement que ça. Et très vite, on a été contactés par la Mairie de Paris pour le centenaire de la Tour Eiffel. On a compris que comme les deux étaient de partis opposés, ils ne devaient pas savoir qu’on participait aux deux événements. On est la seule troupe qui a pu faire les deux, pour une fois on a été discrets !

    En juin, on a fait le centenaire, en juillet le bicentenaire.

    Pour l’anecdote, après le spectacle de juin, où il y avait Johnny Hallyday, etc. pas notre tasse de thé, on se retrouve quand même dans une fête sous la tour Eiffel, dans un périmètre fermé avec de grandes tables de banquet. Toute la mairie de Paris et les députés possible étaient là, toutes les huiles. Et les artistes. Dont les 22 blousons noirs dans un coin, qui picolent comme des trous, il y avait de quoi faire. Et il y en a un de nous qui repère une grosse tente militaire et nous dit, en venez voir ! Il y avait des palettes – l’organisation du truc avait duré 15 jours voire un mois – de rouleaux de PQ pour les 2000 intervenants. On a fait une bataille de rouleaux de PQ comme si c’était des serpentins. On a détruit une ou deux palettes, on les lançait sur les hommes politiques, on attaquait, on chargeait… C’était en fin de soirée, Chirac était parti… On a bien rigolé, c’était un truc de gosses, ça fait rire le PQ.

    Un mois plus tard, on est revenus pour le 14 juillet et il y avait une fête dans les jardins de l’Elysée. On est invités comme le reste des artistes, les techniciens, etc. C’était énorme. On était la plus petite troupe. Les Américains étaient 200, les Sud-Africains je ne sais plus combien. Nous, on était 25. Et pas les plus discrets. On voit les Ecossais sortir leurs cornemuses et jouer deux ou trois morceaux et c’est vachement bien. Tout le monde a envie de danser. Les troupes de musiciens folk s’y mettent aussi. Mais nous, nos bidons étaient fixés sur les petits chariots SNCF dehors. Et dans le périmètre, il y avait tous les présidents du monde… On commence à picoler en restant groupés, on ne connaissait personne. Et on se dit, merde on veut jouer aussi. On sort, on passe devant la barrière de sécurité sans problème, on va chercher nos bidons sur les chariots sur la place de la Concorde et on revient avec nos manches de pioche. Et on se retrouve face à la même barrière de sécurité avec le service d’ordre, en l’occurrence la DST, la CIA, le Mossad… Qui voient arriver 25 mecs en noir, armés de bouts de bois… Ils ont tous sortis les talkie-walkies, c’était panique à bord. Et nous, on avait 12 ans d’âge mental, on a insisté pour rentrer. Et là, les premiers prennent les bidons, les jettent par dessus la barrière en disant, on va passer quand même. Et on empile des bidons pour grimper. Les mecs auraient pu nous buter. Ils ont fini par avoir le mot d’ordre de nous laisser entrer. Et on a joué nos morceaux, les gens sont venus nous voir et on a été les derniers à partir. On finissait les bouteilles pendant que les mecs débarrassaient et que le jour se levait. On était très fiers d’être prolo, les Tambours, c’était un spectacle prolétaire. On symbolisait un atelier avec le chef au milieu qui donnait les ordres. Et c’est pour ça qu’à la fin du spectacle on jetait les bidons, c’était la révolution, tu casses l’outil de travail… On expliquait d’où on venait.